Bonjour chères lectrices et chers lecteurs! C’est avec plaisir que je vous présente mon premier article sur Jeux.ca. J’ai décidé d’écrire sur la communauté en ligne du jeu de rôle sur table dans ce que je considère n’être qu’un aperçu. Pour le moment, il ne s’agit que d’une couverture du côté anglophone, peut-être écrirai-je plus tard sur son penchant en français, même s’il est moins développé. J’avertis que ma plume a le défaut (ou la qualité, c’est selon) d’être par moments assez soutenue, prière de lui donner une chance. Vos commentaires sont les bienvenus. Bonne lecture.
L’incroyable achalandage de spectatorialité vidéoludique sur des sites comme Twitch.tv démontre que l’intérêt pour regarder des personnes jouer en ligne s’installe et s’accroit. Bien que la popularité du jeu de rôle sur table ne puisse se comparer à celui du jeu vidéo, ce phénomène gagne aussi en ampleur chez les rôlistes.
Davantage issu de l’école du joueur que du spectateur, je tiens à préciser d’emblée que je n’étais pas consommateur de ce type de contenu à la base, mais que depuis quelque temps, mes recherches empiriques sur le jeu de rôle m’y amènent régulièrement. De plus, un événement notoire s’est récemment déroulé chez une communauté en ligne et d’y avoir participé en tant qu’observateur m’a motivé à partager quelques constats sur ce dont j’ai été témoin jusqu’ici.
Ainsi, dans cet article, je propose d’abord une brève vulgarisation des principales tendances que j’ai ciblées sur le web, j’apporte ensuite ce j’ai perçu de la BRIGADE CON 2016, puis je soulève en conclusion quelques enjeux qui me font réfléchir personnellement.
Afin d’avoir une première idée de l’envergure de la tendance internaute, deux groupes se doivent d’être introduits. Le premier, Critical Role, une série web associée au site Geek & Sundry, a en moyenne 300 000 visionnements sur chacune de ses vidéos (il y en a plus de 70) allant parfois jusqu’à dépasser le million de clics. Les joueurs qui compose ce groupe, que l’on pourrait qualifier de professionnels, sont des personnalités américaines qui font du doublage dans des productions d’anime, de cinéma d’animation et de jeux vidéo, donc déjà habitués à incarner des personnages de vive voix. Matthew Mercer, reconnaissable pour avoir prêté la sienne à Leon dans la série Resident Evil, est le maître de jeu de cette campagne de 5e édition de Donjons et Dragons et n’hésite pas à partager ses trucs et astuces dans des capsules séparées.
Le second groupe, Acquisitions inc., s’est originellement formé via podcast, mais diffuse désormais sur Twitch et YouTube. C’est Christopher Perkins, personnalité très impliquée dans les produits de Donjons et Dragons, qui agit à titre de maître de jeu -pour le moins expérimenté-. Perkins orchestre et promeut bien sûr du D&D 5E, mais le ton de sa campagne est beaucoup plus humoristique, puisque parmi ses joueurs figurent les créateurs de Penny Arcade, cette bande dessinée web très populaire qui porte sur la culture du jeu et du multimédia. La fusion de ces deux communautés a fabriqué des fans si fidèles que ceux-ci ont été jusqu’à se déplacer dans des salles de cinéma des États-Unis pour assister sur grand écran à la dernière représentation tenue à PAX West, le salon du jeu de Penny Arcade à Seattle. Vraiment, prétendre qu’il ne s’agit que d’un feu de paille serait faire preuve d’aveuglement.
Ces stars du jeu de rôle sur table (je ne sais pas si j’exagère) utilisent du support visuel de qualité, n’hésitent pas à se déguiser à l’image de leurs personnages et sont mises en scène sur un plateau de tournage qui prévoit divers angles de caméra aiguillés en direct, quand un montage n’est pas fait en postproduction pour l’archivage. Personnellement, je suis certain que cet aspect technique à lui seul suffit pour remuer certaines théories de la captation télévisuelle, dossier qui pourrait intéresser plusieurs de mes collègues académiciens en télévision et en cinéma. Cet art, pour le moment improvisé, me semble tributaire du succès de ces chaînes de contenus en ligne, car le jeu de rôle sur table comporte ses propres conventions de rythme et d’immersion, pouvant déconcerter tout spectateur non prévenu. En effet, si vous jugez votre visionnement sur ses 15 premières minutes ou si vous plongez votre curseur pour atterrir en plein centre de la vidéo, il y a de fortes chances que vous n’y voyiez aucun attrait ou que vous vous dites « tant qu’à cela, j’aimerais bien mieux jouer ». Le comble, c’est que la possibilité demeure que malgré un investissement non trivial de votre part, vous en veniez à cette même conclusion tellement ce type de divertissement est de niche. Par contre, chez celui qui discerne le potentiel émergent de ces récits en construction des plus singuliers, le spectacle en vaut apparemment la chandelle.
À l’image du paradoxe de l’œuf ou de la poule, il m’est difficile d’affirmer si Mercer et Perkins ont influencé la tendance de téléversements en ligne de parties de jeux de rôle ou si ceux-ci ont décidé de surfer sur cette vague, puisque je me considère toujours néophyte devant ce phénomène social complexe. Je peux néanmoins affirmer que la plupart de mes visites récentes sur Twitch.tv avec Dungeons&Dragons comme mot-clé de recherche résultent généralement en quelques dizaines d’entrées, lesquelles m’offrent un tout autre terrain d’observation et d’analyse. Rapidement, j’y scinde 2 tendances, ici résumées.
Dans la première, il y a les groupes qui se filment en train de jouer « à l’italienne », c’est-à-dire en déposant une caméra fixe qui donne sur une vue d’ensemble de leur surface de jeu. Certains de ces joueurs possèdent plus d’une caméra et remanie l’interface donnée au spectateur en divisant son écran en plusieurs sections pour que ce dernier puisse vite discerner le maître de jeu des joueurs ou pour offrir un meilleur angle de vue sur les maquettes et les figurines employées. Dans l’autre tendance, j’inclus ceux qui utilisent des logiciels de vidéoconférence comme Google Hangout et qui partagent leur partie à distance, souvent agrémenté d’un logiciel de table virtuelle comme Roll20. Chez ces derniers, il arrive que chaque joueur ait sa propre webcam braquée sur lui en permanence, alors que dans d’autres instances, seuls les échanges audio sont disponibles. Enfin, parmi tous ces types d’aménagement, il faut garder en tête que beaucoup de diffuseurs personnalisent et réinventent la disposition de l’information, ce qui complique mon exercice de classification, mais qui le rend d’autant plus stipulant.
En termes d’achalandage maintenant, je remarque que la plupart des diffusions n’ont, pour la plupart, presque pas de visionnements. Twitch les positionnant par ordre décroissant, rares sont celles qui dépassent la cinquantaine de visiteurs en simultanée, même dans les premières places. Lorsque c’est le cas, je crois comprendre qu’il s’agit le plus souvent d’une petite communauté déjà établie à l’horaire fixe, qu’elle soit associée à un site web, à un organisme ou à une personnalité de renom. Je peux citer en exemple le regroupement missclicks D&D (dont certaines joueuses sont québécoises) qui milite pour le jeu en ligne sans préjugé ni harcèlement envers quiconque et qui accumule quelques milliers de visites sur chacune de leurs vidéos archivées sur YouTube. Côté clavardage, quand les salles sont bondées, celui-ci est plutôt actif, sauf qu’à ma connaissance, les joueurs ne semblent pas vraiment se soucier de ce qui s’y passe et parfois, l’inverse semble tout aussi vrai. Je dois par contre nuancer qu’une enquête plus approfondie me permettrait d’amener des données plus probantes, mon échantillonnage demeurant pour l’instant limité. Je demeure convaincu que l’expérience du chat peut par endroits s’avérer très pertinente quand un juste milieu entre chaos et silence s’y retrouve.
Si mes promenades sur les lieux de téléversements en continu apparaissent de prime abord comme des plus disparates, cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas pour autant reliées. Bien au contraire, au-delà des chaînes YouTube et Twitch qui traitent du jeu de rôle sur table, fourmille une pléthore de pages web, de forums, de blogues et de podcasts où amateurs et professionnels collaborent et rivalisent en originalité. Jusqu’à maintenant, je crois percevoir que ce sont les groupes Facebook rôlistes qui représentent les points de convergence les plus denses. Que ce soit en publiant des liens vers ses propres contenus ou en partageant des articles et des produits d’autrui, ces hubs sociaux représentent aussi un espace pour donner libre cours à ses opinions ou à ses questionnements par rapport à certaines règles de conduite ou à des règles formelles. Sur un ton plus léger, on y voit aussi par moments des photos prises de séances de jeu en cours ou de projets artistiques personnels comme des figurines nouvellement peintes ou des décors fraîchement assemblés. Je présente donc ci-après le groupe Facebook le plus important que j’ai trouvé, car là aussi une bonne quantité de joueurs s’offrent à des parties en ligne d’une façon bien particulière et auxquelles tout le monde peut assister.
La RPG Brigade, peut-on lire sur leur site officiel, a commencé sur YouTube en 2010 alors qu’ils n’étaient qu’une poignée d’enthousiastes partageant une philosophie commune et chez qui critiquer, discuter et disséquer le jeu de rôle sur table était une passion. Explosant en envergure au fil des années, c’est autour d’une page Facebook que les échanges se sont transportés, accueillant aujourd’hui plus de 2 000 membres, dont plusieurs se retrouveraient dans l’industrie professionnelle ou auraient à leur actif des contributions tangibles pour le hobby. Le nombre d’heures de vidéos archivés a de quoi donner le vertige, mais ce qui a attiré mon attention pour le moment est davantage la convention qu’ils ont conduite tout récemment et à laquelle j’ai pu être témoin.
Le 29 octobre dernier s’est effectivement tenu l’événement BrigadeCon2016, le 3e du genre si je ne m’abuse. Il s’agit d’une journée qui consiste à tenir en direct un marathon de parties de jeux de rôle en ligne pendant un peu plus de 24 heures. Divisées en blocs d’à peu près 4 heures, une trentaine de séances se sont réparti l’horaire, parsemé par endroits de panels de discussion et d’entrevues, dans le but d’amasser des fonds caritatifs pour la fondation Child’s Play. Avant midi, à ma première connexion, 1 000$ avait déjà été recueilli, montant qui a au final grimpé à plus de 2 300$, ce qui exclurait en plus les profits sur la vente de t-shirts. Bien que je ne puisse que saluer la démarche caritative et les fonds amassés, principal indicateur du succès de la convention, je me dois d’en nuancer certains aspects.
Dans l’espoir d’optimiser ma couverture, j’ai ouvert chacune des séances de la journée dans des fenêtres séparées, question de mieux choisir où je devais diriger mon attention. Une bonne variété de jeux de rôle que je ne connaissais pas était au menu et avait ainsi aiguisé mon appétit. À mon grand étonnement, dans presque toutes les salles, j’étais seul. Les groupes de joueurs, qui étaient souvent réunis pour la toute première fois, j’ose l’émettre, ne semblaient pas vraiment démontrer cette chimie sociale qui prend parfois un certain temps pour s’installer (à l’exception du volet francophone qui, de toute évidence, se connaissait un peu mieux). Le format était assez semblable d’une table à l’autre, c’est-à-dire ce fameux partage d’écran Google Hangout que j’ai décrit précédemment, sans visuel autre que les visages des joueurs. Je dois même dire que lorsque plusieurs personnes parlent en même temps, l’algorithme automatisé du logiciel passe du zoom accentué d’un joueur à celui d’un autre un peu trop rapidement, ce qui est loin d’être naturel et peu devenir agressant pour l’œil. Bref, déjà que je parlais que le fait de regarder des gens s’adonner au jeu de rôle pendant des heures est une activité niche, quand celui-ci est en plus mal présenté, pas surprenant que presque personne n’y ait assisté pour de vrai. J’imagine que les personnes les plus intéressées par la convention devaient être plus occupées à y participer qu’à y assister.
Si les efforts combinés de la Brigade Con 2016 ont déposé plusieurs centaines de dollars dans les coffres d’un organisme malgré un taux de fréquentation assez faible, il est permis de penser qu’une amélioration de la qualité des prestations offertes saurait faire grimper les dons et la visibilité de ce nouveau média émergent. J’estime que diriger une partie en ligne est un art performatif en pleine expansion et que la maîtrise des outils technologiques combinés à un savoir-faire est une des nombreuses clés vers le succès. Peut-être faudra-t-il encore quelques années avant que le jeu de rôle en ligne se démocratise et qu’il devienne un phénomène culturel d’importance, même au Québec. Des initiatives comme celle pointée par La Presse avec Es-tu Game? «Donjons et Dragons et les APPENDICES » rappelle la formule gagnante de Acquisitions inc. et j’en profite pour vous conseiller personnellement de regarder ce qu’ils font. Qui sait, ce seront peut-être eux que vous irez voir un jour dans les salles de cinéma.