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Christopher Seavor : notre entrevue exclusive

Vous connaissez sans aucun doute le jeu Conker’s Bad Fur Day paru sur Nintendo 64 en 2001. Son personnage principal, un écureuil avec un goût prononcé pour l’alcool, avait séduit à l’époque sur une console loin d’être réputée pour son contenu mature.

Le concepteur du jeu vidéo, Christopher Seavor, travaillait pour Rareware. Nous désirions en savoir plus à son sujet, en particulier les raisons qui l’ont poussé à quitter la compagnie, ce qu’il prévoit entreprendre dans le futur. Voici notre entrevue exclusive.

Merci d’avoir pris la peine de répondre à nos questions aujourd’hui. Vous êtes un excellent concepteur et nous sentions que plus de joueurs devaient vous connaitre, ainsi que votre carrière. Pouvez-vous nous dire pourquoi avoir choisi l’industrie des jeux vidéo en premier lieu, et comment tout a commencé pour vous?

Je te remercie du compliment; c’est bien qu’une autre personne que ma mère le dise pour une fois :). En fait, je ne suis pas certain qu’on veuille vraiment savoir pourquoi j’ai intégré l’industrie, mais voici tout de même ma réponse. Et cette histoire est vraie, soit dit en passant. En gros mon bon ami Ady travaillait à Rare et nous avait dit que c’était super, que tous les employés conduisaient des voitures sport extravagantes et que nous devrions passer faire un tour.

Dave, un autre de mes amis, avait été sélectionné pour une interview et m’avait dit « Veux-tu venir faire une balade? ». Je me suis retrouvé à Rare, sans interview, un peu pompette après être passé dans un bar et avec un sandwich au steak dans ma poche (j’étais un pauvre étudiant, on ne gaspille rien).

Tim et Chris [les fondateurs de Rareware] étaient présents lors de l’interview, c’était plutôt familier, j’ai aperçu une affiche d’Ultimate sur un mur et j’ai soudainement réalisé où je me trouvais. Deux jours plus tard ils m’offraient un emploi. Voilà comment tout s’est passé…vraiment…c’est exactement mon histoire.

On vous reconnait surtout le jeu Conker’s Bad Fur Day et son remake Live & Reloaded. À ce jour, il s’agit encore d’un de mes jeux favoris en raison de son humour tordu, mais aussi de la variété surprenante du gameplay. Quelle était votre motivation à l’époque de créer un jeu classé Mature plutôt qu’un jeu de plateformes, exception faite de le différencier de Banjo-Kazooie?

Heureux de savoir que tu l’as apprécié ? Hmmm, pour être franc, il n’y avait pas vraiment de plan pour Bad Fur Day. Sans aucun doute, le thème mature est quelque chose qui a émergé en cours de développement plutôt qu’un simple hasard. En d’autres mots, et cela n’est jamais arrivé : « Je sais, pourquoi nous n’aurions pas un jeu à propos de deux pots de peinture anthropomorphiques qui disent ‘putain’, ce serait bien non? ».

Je répète, ce n’est jamais arrivé. En fait, tout s’est créé en fonction de sa structure, et c’était une décision de design, mais aussi de narration. Par exemple, au début, je me suis assis avec Robin [le compositeur de CBFD] et nous avons jeté à la poubelle quelques idées concernant une des premières missions, soit le vol de la ruche appartenant à Mme. Bee.  

Le gameplay n’a pas été un problème, c’était assez simple : débutez une tâche au point A, rendez-vous à la zone B, faites C et rapportez le tout à A. Mais c’était vraiment ennuyant. Tout fonctionnait comme sur des roulettes, se contrôlait adéquatement, mais il manquait un petit quelque chose. Ensuite nous avons commencé à travailler les dialogues et nous avons eu une illumination : MOTIVATION! Le personnage avait besoin d’une motivation.

Nous avons donc mis au point une petite histoire stupide pour la reine des abeilles à propos de son mari qui l’avait quitté, puis nous en avons inventé une autre pour les guêpes qui s’étaient emparées de la ruche. Cette charpente anodine a permis à une quête de récupération d’objet linéaire de se transformer en quelque chose dont le joueur se souciait davantage. Puis nous l’avons testé et il manquait encore un élément, et c’était la prochaine « clé ».

Tout comme les meilleures blagues, le jeu devait avoir du punch. Fidèle à moi-même, j’ai exagéré et j’ai transformé la ruche en une mitrailleuse imposante qui a vite exterminé les guêpes d’une mort violente. Je me disais que c’était drôle : Tim et Chris étaient d’accord avec moi. Je me souviens qu’ils ont dit, et je paraphrase : « Chris, crée 100 autres de ces situations, assemble-les et tu as ton jeu ». C’était tout. Deux ans plus tard à partir de ce moment, et avec un peu de chance, de magie et de travail acharné, c’est devenu le jeu culte dont les fans se souviennent avec beaucoup d’affection.

Putain, ça ressemblait à un cours de merde en conception de jeux vidéo 101, mais je n’ai fait que suivre mon instinct. Aucune règle fixe, pas de groupe de discussion (grr!), seulement l’intuition, de l’itération, de l’itération et encore plus d’itération avec un glaçage d’itération.

Il ne serait pas surprenant qu’une tonne de contenu ait été supprimé ou jugé trop controversé pour voir le jour dans Conker’s Bad Fur Day. Après tout, à moins de me tromper, vous vous amusiez à repousser les limites de l’acceptable sur la Nintendo 64. Avez-vous quelques anecdotes à partager avec nous à propos du développement du jeu, peut-être même de scènes retirées?

Hmm, il y en avait quelques-unes. Surtout des bombes à retardement juridiques, certaines probablement de mauvais goût, d’autres qui auraient pu être comprises hors de leur contexte, mais en règle générale le gros du contenu était là et est demeuré intact.

Un petit nombre de scènes ont été coupées puisqu’elles ne fonctionnent tout simplement pas. Le Pokémon qui se faisait battre à mort par une batte de baseball est probablement la cinématique la plus connue parmi les développeurs du jeu, mais il y en avait d’autres. Je crois que le mieux est de les laisser où elles sont, ne serait-ce que pour éviter de possibles litiges ?

À propos des fonctionnalités, je ne crois pas qu’une de nos idées ne s’est pas retrouvée dans le jeu. Certains niveaux n’ont existé que sur papier. Un de ceux-ci proposait à Conker de gonfler une truie géante aux allures sadomasochistes en introduisant un soufflet dans son cul.

Elle se transformait ensuite en un dirigeable flottant que vous utilisiez pour naviguer au-dessus du niveau et lâcher des enclumes sur des vaches pour qu’elles chient dans le chenal, ce qui abaissait un levier et ouvrait une porte. Cette portion aurait éventuellement aboutie à la séquence de combat contre le taureau. Elle a été retirée pour sauver du temps.

Il y avait un certain nombre de ces niveaux « interconnectés ». Une sélection s’est retrouvée dans le design de The Other Day, mais ça n’arrivera pas, donc j’imagine que vous ne le saurez jamais…

Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec un autre ancien employé de Rare, le compositeur David Wise, et de lui poser quelques questions. Il est sympa et je suis persuadé que vous le connaissez bien. Ma question est la suivante : pourquoi n’a-t-il pas contribué à la trame sonore de Conker’s Bad Fur Day avec Robin Beanland?

Je suppose qu’il était occupé. Nous étions tous attitrés à des projets puisqu’à l’époque, les équipes n’étaient pas aussi massives que de nos jours, et la plupart des employés avaient suffisamment de travail dans leur propre cubicule sans à mettre la main à la pâte avec quoi que ce soit d’autre. Du moins, c’est la réponse gentille.

Voici la vraie réponse : Robin « Bunny Killer » Beanland (comme on l’appellait) est un obsédé du contrôle qui, un jour, et je ne blague pas, a jeté un écran d’ordinateur par la fenêtre de son cubicule lorsqu’une personne lui a suggéré qu’il aurait peut-être besoin d’aide pour Conker. Ne soyez pas trompés par ce M. Nice Guy, prenez en pitié la pauvre façade de roux qu’il arbore; ce n’est qu’une imposture.

Lorsque Grant Monkeyknuckles, Lui et The Norgate se rassemblaient et se pavanaient dans les corridors, tous s’écartaient hors du chemin. Nous les surnommions The Dinsdales of Twycross; ils lancaient des pois secs à Tim, placaient une pellicule rétractable sur la cuvette des femmes, ils ont même mis de la merde dans le soulier de Miyamoto lorsqu’il nous a visités. Voilà pourquoi David Wise n’a pas travaillé sur Conker. Il craignait pour sa propre vie…euhm, rien de tout ça n’était vrai en passant, mais je n’arrivais pas à trouver une réponse intéressante donc j’ai ajouté ma touche personnelle ? (À l’exception de la merde dans le soulier…ils l’ont vraiment fait).

Vous avez dit que de nos jours, Conker ne trouverait probablement pas une audience, encore moins un budget convenable. Je ne suis pas d’accord avec la première partie car, à mon avis, les jeux vidéo humoristiques représentent un marché sous-exploité et il semble qu’aucun développeur ait les couilles pour tester la chose ou lorsqu’ils le font, le produit final est moche. Honnêtement, qui n’achèterait pas Conker : The Other Day le jour de sa sortie? Tout est question de droits d’auteur et d’argent. Avez-vous déjà pensé à demander à Rare d’acheter les droits du jeu et de démarrer un studio afin de travailler sur cette suite puisqu’ils l’ont abandonnée? Je sais que ma question est tirée par les cheveux, mais omme bien d’autres je veux plus de Conker ou de Chris Seavor dans mon divertissement numérique.

Tu as raison… c’est TRÈS tiré par les cheveux. Même si Conker a une audience d’un million de joueurs – ce que je ne pense pas à dire vrai – ce ne serait pas suffisant pour justifier la création d’une équipe pour réaliser une suite. Simplement dit, c’est trop risqué.

La seule façon qu’un Conker pourrait être réalisé serait qu’une petite compagnie avec un modèle d’affaires simpliste et sans têtes dirigeantes incapacitantes se lance dans une campagne de financement Kickstarter et dise « Donnez-nous de l’argent s.v.p.! ». J’espère que ça va arriver, je ferais un don instantanément. Mais de le faire moi-même…pas question! J’ai d’autres projets en tête.

Les fans veulent en savoir plus à propos de la suite The Other Day, et c’est compréhensible. Rare avait enregistré le nom de marque, mais la suite ne s’est jamais matérialisée. Plus d’une décennie après le lancement de Conker, pouvez-vous révéler ce à quoi l’histoire devait ressembler et si un prototype était en préparation?

Certains éléments visuels et concepts avaient été réalisés, ça ne fait aucun doute, mais la suite n’a jamais progressé au-delà de ce stade. À propos de l’histoire dans The Other Day, Conker devenait l’empereur de l’univers connu, avait une nouvelle petite amie et en perdait une autre (encore). Il y avait également un gigantesque caca galactique : le Cthulpoo, vilain principal du jeu. Bien d’autres choses se déroulaient, avec la présence de nouveaux personnages et d’anciens favoris. Nous découvrions l’enfance de Greg et pourquoi il détestait les chats, il y avait une tonne de parodies de films contemporains, et une version sosie de Conker que vous incarniez un moment. Beardy (Birdy) mourrait. Ce genre de choses…

Tel que l’original, cette suite se terminait bien. En fait j’avais préparé un résumé divisé en chapitres pour toi et les fans, mais c’était deux fois plus long que l’entrevue donc je l’ai retiré, désolé. En guise de prix de consolation, voici une image d’un des premiers concepts du niveau initial, afin de prouver que nous avions bel et bien travaillé dessus :

Il y a quelques mois, vous avez écrit sur Twitter que vous ne travaillez plus à Rare. Pouvez-vous nous en dire plus? Il semble que nous n’avons pas toutes les pièces du puzzle. Était-ce vraiment leur décision ou vous étiez fatigué de voir des jeux Kinect à longueur de journée?

Héhé. Je soupçonne qu’une chose a mené vers l’autre. Qui peut vraiment se douter de ce qui s’est passé là-bas. Toutefois, en ce qui me concerne, je n’ai jamais été aussi heureux.

J’ai lu beaucoup à votre sujet [ajoutez une blague troublante] et vous me semblez être très passionné à propos de tout. Cela fait partie de votre personnalité. Depuis que vous ne travaillez plus à Rare, que faites-vous exactement? J’ai entendu parler d’un jeu vidéo développé en vue d’une sortie sur iOS et Android mettant en vedette un personnage nommé Stan (fan de South Park?)

South Park? Non, ce n’est qu’une coïncidence que je n’avais pas remarquée avant. Stanley a été choisi car Stan rime avec Man, mais aussi parce que c’était un nom populaire dans les années 1920 et 1930 ce qui cadre parfaitement avec la prémisse du jeu. Je ne peux vraiment en dire plus. En revanche, voici une nouvelle image de notre petit ami afin de contre-carrer les paragraphes de prose avec quelque chose d’admirable :

Ce doit être difficile pour vous de réaliser que Microsoft a « détruit » Rare et, selon des informations récentes, que cet éditeur a même refusé un troisième volet à Killer Instinct. Nous avons aussi appris que certaines autres idées, dont Savannah, ont elles aussi été écartées. Comment vous sentez-vous à propos de cette situation, et sur combien d’idées planchiez-vous?

Je ne suis pas certain à propos de la suite à Killer Instinct qui avait été mentionnée. Il se peut que je me trompe, mais je n’ai jamais entendu d’une version de Killer Instinct 3 plus avancée qu’une simple idée. Est-ce qu’elle aurait dû voir le jour? Ouais. Je considère qu’elle aurait fonctionné. Je ne suis pas sûr avec la Kinect, je veux dire, et soyons honnêtes, rien qui nécessite une bonne précision n’en veut.

Le jeu aurait eu besoin d’une précision chirurgicale. J’aimerais clarifier que je n’étais pas impliqué dans le projet Savannah, ce projet était celui de Phil Dunne. Ironiquement Savannah aurait vraiment tiré profit de la Kinect, c’était une expérience de jeu assez passive, agréable et « nourissante » plutôt qu’une succession de pressions sur des boutons ou des sauts incessants qui sont devenus la marque de commerce peu enviable de la Kinect. Un vrai gâchis, mais le projet a été annulé avant même l’arrivée de la Kinect.

En ce qui a trait à la « destruction » de Rare par Microsoft, regarde mon pote, elle a été achetée de manière équitable. Visiblement, Microsoft désirait maximiser le potentie de son nouveau jouet, mais plusieurs jeux associés à l’image de Rare auraient eu de la difficulté à l’utiliser. C’était leur dilemme. Pourtant, tel que je l’ai écrit sur Twitter l’autre jour, il aurait pu être amusant de frapper les couilles du Big Bollocked Boiler en utilisant la Kinect, ou même de pisser.

Nous aurions même pu chanter avec Mighty Poo, héhé. Des possibilités infinies…(oui, je plaisante). Au bout du compte, ils peuvent faire ce qu’ils veulent et c’est exactement leur attitude. N’oublions pas, peu importe à quel point la situation est irritante pour les fans de Rare (moi-même compris), que les jeux Kinect Sports 1 et 2 ont vendu vachement des copies et peu importe ce qui se trame en fera certainment autant. Donc, à leurs yeux, ils réussissent. En toute franchise, ce n’est pas un sujet auquel je m’attarde.

Cessons de discuter Conker et de Rare le temps d’une dernière question. Vous avez eu la chance de tester plusieurs nouveaux jeux vidéo au cours de la dernière décennie, alors quels sont, pour vous, les titres qui se sont vraiment démarqués et pourquoi?

En fait, je n’ai pas joué à autant de titres que j’aurais aimé, et je souhaiterais pouvoir m’investir davantage dans Guild Wars 2, mais c’est difficile car je suis très occupé ces derniers temps, du moins jusqu’au mois de novembre. Donc, plusieurs jeux m’ont étonné, mais ceux qui m’ont marqué le plus et m’ont fait dire « Oh, putain, qu’est-ce qui vient de se passer?! » sont, sans ordre précis : Gothic 2, Bioshock, Deus EX, Half-Life, Planescape: Torment, Homeworld, Warcraft (putain de jeu), Morrowind (après trois essais), Condemned, Resident Evil 4 (bien sûr), Beyond Good and Evil (un vrai joyau), Eternal Darkness (en HD s.v.p.!), et quelques-uns de l’époque médiévale dont Knightlore et Rebel Star Raiders (ce dernier m’a progressivement éloigné du jeu Elite) Oh, et Elite.

Mon jeu favori de tous les temps est Baldur’s Gate. Rien n’est jamais et n’arrivera à la hauteur de ce jeu pour moi. Absolument pas. Peu importe, les listes sont vraiment ennuyantes et tout à fait subjectives, donc je vais m’arrêter ici. Voilà, c’est tout, retourne à la maison maintenant…

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