Comme Trump, Intel pensait qu’il était invincible : il avait tort !

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Florian Thibodeau

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Si l’on s’en tient à la mythologie hollywoodienne qui présente toujours les États-Unis comme le lieu de batailles épiques qui définissent le destin du monde, alors on peut dire que la réalité nous enseigne que c’est un monde où le puissant arrogant est souvent mis à mal par l’outsider. Pendant cette période électorale où le président américain sortant est quasiment hors de la maison, un autre géant (pas blond pour le coup) est en passe de perdre son trône : Intel. Depuis quelques années, le numéro 1 de l’industrie des processeurs enchaîne des contre-performances sur divers domaines. Mais plus grave encore, son principal challenger AMD se donne les moyens de porter dans les années à venir le coup fatal.

L’aveu d’un défaut d’anticipation stratégique

C’est le sens qu’on peut donner à la sortie du CEO d’Intel, Bob Holmes Swan, en fin d’année 2019. En effet, il a déclaré dans une conférence sur les nouvelles technologies organisée par une grande banque suisse qu’il était dommage que son entreprise se soit tant concentrée sur le marché des CPU pour ordinateurs dont elle détenait le quasi-monopole. Cette attitude satisfaite aurait empêché la firme de Santa Clara d’attaquer d’autres marchés d’avenir, et d’investir dans l’innovation. Le CEO d’Intel pointe plusieurs éléments qui auraient joué un rôle important dans cet affaiblissement de la position de leader de son entreprise :

  • Une forte croissance de la demande que la société américaine n’a pas anticipée ;
  • Une organisation non optimale des unités de production des puces ;
  • Un nombre trop grand d’itération dans le développement de la gravure 14 nanomètres.

La nouvelle stratégie d’Intel pour les années à venir est donc basée sur la diversification et l’innovation. Les objectifs en termes de parts de marché doivent migrer du contrôle du marché des CPU vers la conquête du tiers du marché international du silicium. Ce dernier étant l’élément central de la fabrication des puces et processeurs, Intel va donc s’attaquer au développement de chipset, de GPU, de puces d’IA, de puces pour modem et autres capteurs. Bob Swan compte atteindre ces objectifs grâce à des investissements importants et un changement de culture d’entreprise. Il a d’ailleurs adressé une lettre dans ce sens le 31 mars dernier aux 110 000 employés de la firme dans le monde. Seulement, il n’est pas certain que sur le long terme ces mesures vont corriger le retard accusé ces dernières années.

Une série de déconvenues

Si Intel est aujourd’hui obligé de revoir de façon radicale ses orientations à moyen terme, c’est que la firme fait face à une série de revers tant sur les parts de marchés que sur la recherche et développement en interne.

Perte du contrat Apple

L’annonce a été faite en juin à la Worldwide Developers Conference (WWDC) 2020 : après 14 ans de partenariat, il n’y aura bientôt plus de produits Apple fonctionnant avec des puces Intel. Seule la ligne des MacBook et iMac fonctionnait encore avec ces processeurs, les autres iPad et iPhone ayant adopté des puces faites maison depuis des années. Il faut dire qu’Apple n’a jamais vraiment caché sa volonté d’internaliser la production de processeurs. Dès 2008, le constructeur à la pomme faisait l’acquisition de PA Semi, une entreprise fabless (sans usine) qui conçoit des microprocesseurs.

La transition devrait se faire sur 18 mois, ce qui amortit un peu l’impact économique de cette décision pour Intel. Cela dit, les 20 millions de processeurs Intel écoulés à travers les Mac chaque année représentent 3,4 milliards de dollars, soit 5 % du chiffre d’affaires d’Intel. Même si Apple est le 4e client d’Intel (après Dell, Lenovo et HP), le coup économique n’est pas critique. Par contre, c’est un signal négatif pour la réputation d’Intel : les processeurs Intel ne sont plus à la pointe. Surtout si on tient compte des annonces faites par Apple en termes de performances de son nouveau processeur M1 (anciennement appelé Apple Silicon).

Retard technologique sur Samsung Foundry et TMSC

Intel qui a été pendant plus de 5 décennies l’incarnation la plus fière de la Loi de Moore est désormais à la traîne sur le plan technologique. La miniaturisation et l’optimisation des puces sont une course incessante que se livrent les constructeurs. Intel accusait déjà un certain retard lors du passage à la technologie à 14 nanomètres en 2014.

Mais c’est avec le passage à la technologie à 10 nanomètres – qui est actuellement la référence – que le déclassement s’est confirmé. Le lancement de cette technologie chez Intel a fait l’objet de 4 reports, occasionnant un retard de 3 ans. Il n’en fallait pas plus pour que ses principaux concurrents – TSMC et Samsung – lui dament le pion. Par exemple, c’est bien la technologie de gravure 8 nanomètres de Samsung qui a été utilisée pour les dernières RTX de Nvidia, dont la puissance de calcul fait le bonheur des gamers. En effet, il est beaucoup plus facile d’obtenir des performances optimales lorsque vous jouez à Fifa21, Fortnite, ou à des jeux basés sur les compétences comme les machines à sous en ligne, lorsque vous disposez d’une configuration matérielle optimale pour faire tourner les jeux.

Mais l’évènement le plus notable qui illustre ce retard technologique est l’hypothèse de voir TMSC ou Samsung participer à la réalisation des futurs processeurs 7 nanomètres d’Intel. Le développement de cette technologie était en effet une priorité pour la firme dirigée par Bob Swan, afin de rassurer ses clients et combler son retard. Mais cette technologie qui était initialement annoncée pour fin 2021 verra le jour en fin 2022 voire début 2023.

La nouvelle a entraîné la chute de l’action Intel de près de 10 %, pendant que celle de TMSC gagnait 4 points dans le même temps. Plus important encore, il semble qu’Intel fera recours à l’un des deux constructeurs asiatiques pour développer sa propre technologie, cela afin de juguler les pertes de marchés face aux autres fournisseurs de processeurs : Qualcomm, Nvidia et surtout AMD.

AMD, futur leader du marché des puces électroniques ?

Ce n’est pas encore acté, mais une chose est certaine : Advanced Micro Devices (AMD) est dans une phase ascendante qui n’est pas près de prendre fin. Cette montée en puissance d’AMD est palpable par ses chiffres impressionnants et en perpétuelle croissance. L’autre atout d’AMD est qu’il arrive à figurer parmi les meilleurs fabricants tant dans le secteur des CPU que dans celui des GPU, sur les talons des deux firmes leaders sur chacun de ces segments, respectivement Intel et Nvidia.

Des performances soutenues sur la durée

Depuis 2018, AMD atteint des niveaux de rentabilité extrêmement satisfaisants, ses meilleurs résultats en dix ans. L’industriel qui est le deuxième producteur de microprocesseurs à architecture X86 emploie 10 000 personnes dans le monde. En 2019, son chiffre d’affaires est évalué à 6,73 milliards de dollars, et son bénéfice net à 341 millions de dollars. Ces chiffres sont en croissance respectivement de 4 % (C.A.) et de 1 % (bénéfice) par rapport à 2018. Et en 2020, l’embellie continue : 2,8 milliards de chiffres d’affaires sur le 3e trimestre 2020 (malgré le contexte de crise), soit une hausse remarquable de 59 % par rapport à l’année 2019.

Une réelle avance technologique et de francs succès commerciaux

La croissance d’AMD est portée par ses succès technologiques sur les 4 dernières années. Sur toutes les lignes de produits, le constructeur présente un catalogue extrêmement solide. Les derniers processeurs – Ryzen, Radeon et EPYC – sont de véritables succès commerciaux, le partenariat avec le fondeur taiwanais TMSC permettant à AMD de bénéficier de l’avance technologique de cette firme. Les leaders du marché des jeux vidéo – Sony et Microsoft – ont mis en vente leurs consoles dernière génération qui tournent sur des processeurs AMD. L’entreprise (AMD) détient désormais 22,4 % du marché des processeurs X86.  Elle continue à croître tant sur le secteur des CPU que celui des GPU ou cartes graphiques. De façon détaillée, AMD détient :

  • 20,1 % du marché des puces pour ordinateur de bureau
  • 20,2 % du marché des puces pour ordinateur portable
  • 20,2 % du marché des puces pour serveurs X86

Il faut souligner que sur les marchés des puces pour ordinateurs pris globalement, les parts d’AMD progressent de façon ininterrompue depuis 12 trimestres.

En définitive, on peut constater que la situation d’Intel relève beaucoup plus d’une stagnation que d’un réel recul. Il occupe une position de leader sur le marché des microprocesseurs, notamment sur les puces bas de gamme pour ordinateur, segment dans lequel sa puissance industrielle reste un atout majeur. Mais c’est son retard technologique qui permet à son concurrent AMD de marquer des points importants dans la compétition. AMD présente une croissance soutenue depuis 3 ans, grâce à la diversification de ses marchés, une technologie avancée et un excellent rapport qualité-prix de ses produits. Bien que l’écart sur le chiffre d’affaires reste encore grand, la tendance actuelle n’est pas près de s’inverser. Sur le moyen terme, AMD dispose des moyens pour devenir la référence sur les marchés historiques de son concurrent Intel.