Dans mon tout premier article Jeux.ca disponible ici, j’aborde comment certains rôlistes du web mettent en scène leurs séances de jeu de rôle sur table pour les présenter comme un divertissement spectatoriel. J’introduis notamment les groupes Critical Role et Acquisitions Inc., deux exemples américains qui s’imposent comme des phénomènes d’ampleur par le volume de leur contenu et de leur visionnement. Plus récemment, l’événement promotionnel Stream of Annihilation, que j’ai rapidement couvert ici, atteste quant à lui d’une tendance en expansion. Ce marathon de parties de Donjons & Dragons a en effet rassemblé dans un même studio des rôlistes du Canada, des États-Unis, d’Angleterre et d’Australie, suggérant des communautés en ligne dorénavant disséminées à travers le globe. Il semblerait que le Québec n’est pas en reste, puisqu’un groupe de YouTubeurs de Montréal tire son épingle du jeu en proposant une formule devant public. Cet article leur est consacré.
Tammy Verge et Normand D’Amour (de dos), invités de S2-E1 ©Es-tu Game?
Es-Tu Game? (EtG), ce sont présentement quatre jeunes dynamiques qui démocratisent les jeux de table en tout genre, principalement sur YouTube. Avec une pointe d’humour, ils proposent des critiques, de la vulgarisation de règles, des sessions de jeux démonstratives, des nouvelles et des entrevues, bref plein de contenu susceptible de plaire à tout gamer francophone. Depuis un peu plus d’un an, EtG mène également une campagne à long terme de la 5e édition de Donjons & Dragons complètement déjantée avec certains membres du groupe d’humoristes Les Appendices. À chaque séance, ou presque, des joueurs-invités se mélangent aux réguliers, souvent des artistes de la relève, mais parfois aussi des figures plus connues. Le pub ludique Le Randolph de Rosemont est généralement l’hôte de ces parties de jeu de rôle, mais la troupe de rôlistes peut parfois se déplacer, comme lors de participations au MiniFest ou au Mondial des jeux Loto-Québec.
Réalisé par Mathieu Quintal et assisté à la technique par Marc-Antoine Doyon, EtG varie la disposition des joueurs et du maître de jeu dans l’espoir d’accommoder le mieux possible caméras et spectateurs présents, puisqu’un joueur de dos peut être difficile à entendre à une table plus éloignée et que le bruit ambiant ne doit pas trop polluer les microphones, sans parler de la contrainte supplémentaire de ne pas gêner les serveurs qui travaillent. Pierre-Louis Renaud, le maître de jeu, doit quant à lui composer avec un scénario épisodique devant se conclure en environ deux heures, face à des participants qui peuvent se dénombrer jusqu’à huit, d’autant plus que certains n’ont à première vue qu’une vague idée de la dynamique d’un jeu de rôle sur table, oscillant parfois entre confusions manifestes et naïves témérités. Ces joueurs peuvent toutefois compter sur le support de Benjamin Déziel et Raphaël Lacaille qui complètent le quatuor EtG et incarnent à leurs côtés des personnages issus du noyau de départ de l’aventure.
Qualifier le ton de la campagne d’humoristique serait un euphémisme. L’histoire, truffée d’anachronismes, de références à l’actualité et de caméos de la scène québécoise, est à l’évidence conçue pour être comique, mais devient désopilante lorsque Les Appendices la saupoudre de l’humour absurde qui a fait leur réputation. Le personnage de Dave Bélisle utilise ainsi des pokéballs tels des objets magiques des plus « overpowered », celui de Julien Corriveau est un toxicomane accro à la poudre de lune et porte une armure empreinte de gravures obscènes, tandis que celui de Jean-François Provençal, un barbare musculeux de 11 ans et légèrement vêtu, est conçu en munchkin (GrosBill) et répond LITTÉRALEMENT au nom de « Ouin ». Ensemble, ils complètent la guilde de détectives privés (scabreux?) qui enquêtent sur différents mystères d’Argoth, le royaume tropical d’un univers fait maison. Optant pour l’exil « parce ce qu’ils étaient trop haïs dans la ville où ils ont commencés », pour citer Pierre-Louis, les héros s’amourachent d’un puddle prénommé Princesse-Pattedouce, trinquent avec Jean-Michel le dragon pour mieux le trahir et vont à l’opéra pour récupérer un pénis en cristal qu’un troll arbore désormais comme septum. Bref, des aventures pour le moins saugrenues.
Une partie du charme à la table d’EtG est le cachet rudimentaire du matériel que Pierre-Louis prépare pour ses rencontres. Le décor du combat tactique est tantôt assemblé de boîtes de mouchoirs et de rouleaux de papier hygiénique vides et tantôt juché sur des canettes de bières, sans parler de ses plans et ses « props » dessinés à la main qu’il remet aux joueurs. Depuis peu, ces documents sont archivés sur ce compte tumblr, l’un d’eux reproduit ci-contre, question de vous laisser apprécier cette singularité.
Une autre particularité de ces événements est l’aspect participatif qu’EtG propose à la salle. Certains soirs, pendant le montage de l’équipement, Raphaël ou Marc-Antoine demandent à l’assistance d’inscrire sur de petits papiers des noms de personnages célèbres réels ou fictifs, qu’ils rassemblent dans des contenants de yogourt vides, placés derrière l’écran de jeu à Pierre-Louis. Quand ce dernier introduit un nouveau personnage au cours de la partie, il pioche un nom, ce qui a comme impact d’influencer le comportement dudit personnage, tandis que les joueurs réagissent à son contact dépendamment de ce que cette personnalité évoque chez eux. Par exemple, quand le nom de Luc Senay est prononcé dans ce contexte, les blagues de split ne sont jamais bien loin.
En y réfléchissant bien, au-delà des pintes de bière, la démarche artistique derrière les prestations de « Dans le Donjon d’Es-tu Game » pourrait s’inscrire comme une sorte de théâtre participatif expérimental. En jonglant avec les conventions d’un pan de la culture populaire, EtG et Les Appendices proposent un laboratoire de narration émergente, un genre d’usine à faire des blagues sur différents thèmes, ce qui n’est pas sans rappeler certains fondements d’une ligue d’improvisation, mais qui serait coopérative et épisodique. Vraiment, l’avènement de la démocratisation de la spectatorialité du jeu de rôle (et du jeu en général), de même que de la recrudescence du jeu de table qui frappe notre décennie, promet un contexte favorable à de nouvelles initiatives de divertissement sur le terrain ludique.
La finale de la saison 2 est prévue pour le 6 août 2017, au Randolph de Rosemont, à 19h.
L’artiste-invité est Antoine Vézina. L’entrée est gratuite.
Vous pouvez accéder aux vidéos archivés ici.