Réfléchir à l’intérieur de la boîte

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Si vous le voulez bien, embarquons dans une DeLorean DMC-12 et retournons en juin 1982 dans le sous-sol de mon ami Phil. Tapis brun, macramé, chaises en rotin, liqueur aux fraises, nous étions prêts pour une nouvelle partie de Château Lafortune quand son grand frère Louis arriva tout échevelé et lança sans cérémonie une boîte blanche au lettrage rouge sur notre partie naissante. J’étais prêt à lui faire sa fête quand mon attention se dirigea sur la photo de la boîte du jeu. Un gigantesque canon antique menaçait une carte du monde. Je restai pantois. Louis, fier de son effet, déballa son paquet, ouvrit la boîte, déplia le tableau et retira les compartiments de plastique. Ma tête se mit à tourner. Tant de rouge, de cartes, de dés, de pièces. Étais-je malade ? Non. C’était mon premier coup de foudre. C’était Risk (version 1980).

Et vous, pour quelle(s) raison(s) aimez-vous un jeu ?

Grande question dont les réponses peuvent générer bien sûr des débats enflammés, mais demandons plutôt l’opinion de la science.

Deux chercheurs du HEC, Alain D’Astous (professeur aux HEC) et Karine Gagnon (consultante chez Ubisoft) publiaient en 2007 une étude fort intéressante sur les habitudes de consommation des joueurs. Leur enquête a porté plus précisément sur les facteurs qui influencent l’appréciation d’un jeu. En d’autres termes, quelles caractéristiques d’un jeu provoquent notre amour (ou notre haine !) pour lui.

Les deux chercheurs ont en premier lieu réalisé une étude qualitative auprès de 13 joueurs expérimentés et de 13 professionnels du milieu des jeux de société (créateurs, distributeurs, fabricants). À partir des réponses de ces experts, ils ont formulé sept hypothèses définissant les critères qui nous font apprécier, disons, Risk :

1-La clarté des règles et des objectifs du jeu ;
2-Le divertissement et le plaisir offerts par le jeu ;
3-Le rythme versus la redondance du jeu ;
4-Les éléments de surprise du jeu ;
5-Le degré de contrôle sur le jeu (la possibilité de développer une stratégie) ;
6-Le degré de difficulté du jeu ;
7-Le potentiel du jeu de créer une expérience unique et de « vivre des vies » ;

Ensuite, par sondage, D’astous et Gagnon ont soumis ces hypothèses à 169 joueurs de tous calibres, qui ont alors évalué les jeux qu’ils connaissaient bien. Les résultats de leurs choix sont assez intrigants, car deux facteurs d’influence sont sortis du lot (ici, roulement de tambour) : tout d’abord, le potentiel de créer une expérience unique (7e hypothèse) et ensuite, le divertissement (2e hypothèse). Les chercheurs ont aussi tenu à préciser une différence marquée par genre, alors que les hommes préféraient les éléments de surprise et les femmes un bon rythme de jeu.

Êtes-vous surpris de ces réponses ? L’expérience générale est-elle ce qui influencerait le plus notre attirance pour un jeu ? Pourrait-on généraliser ces réponses à tous les types de joueurs (les débutants comme les vétérans) ? Manque-t-il une hypothèse (où est passé le critère d’esthétisme?) ?

Et Risk dans tout ça ? me demanderez-vous finalement d’un air narquois. Ce n’est pas pour la mécanique rudimentaire et aléatoire, ni pour le matériel plat que je reviens encore et encore à ce classique, mais pour la chouette idée de posséder une armée qui peut entièrement conquérir la planète le temps d’une soirée. Comme quoi, la science a parfois raison.