Hier, David Thiers, rédacteur pour Forbes a publié un article sur leur site pour dire à quel point il enjoignait les créateurs de From Software d’inclure un mode facile dans leurs jeux. Je vous explique pourquoi c’est une très mauvaise idée en plus d’être un non-sens artistique.
From Software et la difficulté
Je ne suis pas du genre à m’en prendre à des confrères surtout s’ils viennent d’une publication aussi illustre que Forbes. Mais aujourd’hui je m’insurge et m’inscrit en faux. Si je suis d’accord avec l’article en partie, il serait malvenu de croire que ce serait une bonne idée d’inclure un mode facile dans Sekiro: Shadows Die Twice et d’autres jeux de From Software.
Le studio japonais fait des jeux difficiles mais pas insurmontables. C’était déjà comme ça du temps de King’s Field (dont la parution occidentale a été saccadée pour ne pas dire saccagée mais nous en reparlerons). C’était ainsi également avec Armored Core, Otogi ou Kuon. Mais pourquoi? Les développeurs sont-ils masochistes? Pas du tout. Il faut avant tout s’intéresser à la vision des créateurs. On pense bien souvent le jeu vidéo n’est pas de l’art mais il suffit de s’intéresser à From Software pour comprendre que c’est le cas. La conception est avant tout le façonnage d’une vision. Très souvent avec le studio, elle est intransigeante pour ne pas dire inflexible.
Avec la série des Souls puis avec Bloodborne et maintenant Sekiro, From Software montre son expertise dans la création de jeux difficiles mais pas insurmontables. Et surtout jamais injustes. Je suis pourtant un joueur qui ne joue quasi-exclusivement qu’en mode facile. Pourquoi? Parce que les scénarios m’intéressent avant tout. Par exemple, la bêta de The Division 2 puis le jeu final m’ont fait m’arracher les cheveux tant il est injuste en solo. J’aime le jeu vidéo, mais je ne suis pas bon. Est-ce un défaut pour mon métier de journaliste spécialisé? C’est une autre question mais pas du tout, bien au contraire. Quoi qu’il en soit, je me dois de défendre les créations de From Software face à ce discours simplistes.
Pourquoi faire des jeux aussi difficiles?
Plutôt que difficiles, je dirai que les jeux de l’écurie japonaise sont exigeants. Très exigeants. Mais dès lors, pourquoi rencontrent-ils tant de succès? Tout simplement, à mon avis car cela demanderait des recherches bien plus poussées, car les joueurs aiment se dépasser, encore et toujours. C’est de cette façon qu’est né le Esport, qui nous intéresse tout particulièrement à jeux.ca. De cette volonté d’accomplir de grands exploits virtuels est née la compétition vidéoludique à haut niveau. À tel point que c’est devenu une discipline olympique.
Mais revenons à Sekiro. Ce titre guide les joueurs sans les guider et c’est ce qui le rend si particulier, si accessible finalement et tant recherché par les joueurs. De plus, la difficulté est millimétrée sans pour autant encourager le die’n retry d’antan. Les créateurs de From Software savent ce qu’ils font. Le joueur a par ailleurs tous les outils pour s’en sortir comme dans les Souls. C’est surtout que chaque faux pas est lourdement sanctionné. Mais pas au point de réclamer un mode facile. Il ne faut pas exagérer. La difficulté de Sekiro est loin d’être gratuite, ou arbitraire. Tout est pensé pour former un tout cohérent.
Enfin ce qui plait dans ces jeux à la difficulté si relevé, c’est cette éternelle relecture de David contre Goliath. On aime ce genre d’histoires et surtout de retournements de situation. On aime soutenir l’outsider, l’underdog. Celui qui est le plus faible sur le papier et qui finalement s’en sort par un habile jeu du sort. Comme quoi il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Depuis la nuit des temps, on raffole de ce genre de contes et légendes. Et From Software nous propose souvent d’en être l’acteur. Alors on fonce! Qui peut nous blâmer?
Compromettre la vision des créateurs
Je dois dire que ce qui m’agace le plus dans l’article de David Thiers, c’est sa volonté de vouloir dire aux développeurs quoi faire et surtout comment le faire. Ça me rappelle cette sombre histoire de fin « modifiée » de Mass Effect 3. Sous la pression populaire, les développeurs se sont senti obligés d’ajouter quelque chose, d’expliquer leur fin. Mais de quoi je me mêle? On me rétorquera que certains auteurs l’ont fait en publiant des versions modifiées de leur ouvrage.
Mais le meilleur exemple reste encore le cinéma et les versions Director’s Cut. Moins fréquentes de nos jours, car j’ai l’impression que l’on respecte plus les créateurs qu’un temps, ces montages différaient de la version projetée en salle. Souvent, pour faire plaisir aux studios qui finançaient les films et payaient les salaires des réalisateurs, ils avaient un contrôle créatif certain. Mais lors de la sortie en VHS ou DVD, certains réalisateurs repassaient par la case montage pour livrer leur vision. On peut citer The Butterfly Effect, Blade Runner, ou encore Léon.
En jeu vidéo, c’est bien plus rare. Il y a eu le cas Star Ocean Till the End of Time (inclusion des Battle Trophies), mais surtout Resident Evil (nouveaux angles de caméra par exemple). Surtout parce que la plupart du temps, les éditeurs et les joueurs laissaient les créateurs libres d’aller au bout de leur vision. C’est exactement le cas avec Sekiro. Activision a clairement laisser From Software libre de ses mouvements. Et heureusement. J’espère donc de tout cœur que les Japonais continueront d’être aussi intransigeants dans leur création. C’est ce qui plait et ils le savent. Un mode facile compromettant tout simplement cet équilibrage pour lequel ils ont tant travaillé.