Ubisoft est l’un des plus importants studios dans l’industrie du jeu vidéo. Au Canada, plus de 4500 personnes travaillent dans ses installations de Québec, Montréal, Toronto et Winnipeg. Pas mal pour une entreprise française qui s’est établie au pays en 1997.
Pourtant, tout ne va pas comme sur des roulettes pour la boîte fondée par les frères Guillemot. En un an, l’action d’Ubisoft a perdu plus de 30 % de sa valeur. C’est que le géant s’essouffle après plusieurs années de croissance ininterrompue. L’action se chiffre aujourd’hui à environ 83 $, bien loin du pic de 150 $ enregistré à l’été 2018. Ces six derniers mois, la dégringolade a été spectaculaire. Je ne suis pas ici pour partager une analyse fiscale, mais vous allez comprendre pourquoi, à mon avis, Ubisoft est aujourd’hui l’ombre d’elle-même. Tout est lié au cash.
Quiconque est familier avec la bourse sait que les soubresauts font partie du jeu. Toutefois, pour qu’une action perde autant de sa valeur dans un laps de temps aussi court, il y a souvent des raisons plus graves à considérer. L’action en justice intentée par Solidaires Informatique est un bon exemple. Rappelons la raison d’être d’une telle démarche : « des cas de harcèlements sexuels au sein du groupe Ubisoft avec la complaisance des services des Ressources Humaines, protégeant les harceleurs et réduisant les victimes au silence ».
Rien de bien vendeur pour les actionnaires. Pourtant, je crois que ce n’est pas ce scandale qui fait le plus mal à l’éditeur. Au fil des années, Ubisoft a abandonné un nombre grandissant de ses franchises pour se concentrer sur une poignée de jeux, la plupart sous forme de service (games as a service ou GAAS). Bien plus payant, n’est-ce pas? Oui et non, je dirais. Certes, des jeux comme Rainbow Six Siege représentent tout un pactole avec une Season Pass et plus de microtransactions que je peux en compter.
Malheureusement, c’est une course vers le bas. L’innovation est tuée au passage, toujours dans l’espoir de soutirer un maximum de billets aux fans. L’annonce récente de Tom Clancy’s XDefiant est un bon exemple : au lieu de créer une expérience Tom Clancy basée sur la tactique, des missions anti-terroristes et une planification avancée des opérations, on se retrouve avec un énième GAAS cette fois en 6 contre 6 et, parions-le, pourri jusqu’à la moelle de DLC.
Avec autant d’employés sous son égide, Ubisoft n’a pas le droit à l’erreur. Ce que nous voyons, c’est un désir d’homogénéiser son offre, avec tout l’aspect stérile que cela représente. Pourquoi prendre un risque avec un jeu solo quand je peux obtenir cent fois plus de gains avec un jeu multi? Argent et créativité ne font pas bon ménage, surtout quand vous avez des comptes à rendre envers des gens qui misent gros sur votre nom.
Si j’épluche l’historique d’Ubisoft, je constate un cimetière de licences appréciées et oubliées, victimes collatérales d’une avarice sans bornes pour le dieu GAAS. Regardez par vous-même :
- Brother in Arms : absence de plus de 12 ans après Hell’s Highway sorti en 2008 (je ne compte pas les volets mobile ici)
- Call of Juarez : absence de plus de 8 ans après Gunslinger sorti en 2013
- Driver : absence de près de 10 ans depuis San Francisco sorti en 2011 (en oubliant les volets mobile)
- Prince of Persia : absence de plus de 10 ans, le prochain jeu est un remake qui a été repoussé en raison de sa piètre qualité
- Rayman : absence de plus de 7 ans après l’excellent Rayman Legends sorti en août 2013
- Tom Clancy’s Rainbow Six : absence de plus de 13 ans depuis Vegas 2 sorti en mars 2008
- Tom Clancy’s Splinter Cell : absence de plus de 7 ans après Blacklist sorti en août 2013
Le temps de l’expérimentation avec Ubisoft semble révolu. Pourtant, ce n’est pas le manque de licences appréciées du passé qui manque. Beyond Good & Evil II est sans doute mort et enterré à l’heure d’écrire ces lignes ou, à tout le moins, sur le respirateur artificiel. L’une des dernières surprises, qui est signée Ubisoft Montréal sous la forme de Child of Light, date de… 2014. Si ce n’était d’Immortals Fenyx Rising par Ubisoft Québec en 2020, le portrait serait encore plus sombre de ce côté-ci de la province.
Quand une série phare comme Assassin’s Creed se tourne vers le jeu en tant que service avec Infinity ou qu’une production comme Skull & Bones prend plus de 8 ans avant d’aboutir à une phase alpha, c’est à se demander ce qui ne tourne pas rond avec Ubisoft. Pour ma part, c’est clair : Ubisoft écarte son passé et, du coup, un legs important dans l’industrie pour une vision à court terme qui lui sera défavorable une fois la poussière retombée.