Montréal joue : rencontre avec les maîtres du jeu

 

Imaginez un Denis Coderre, moustachu, vêtu du légendaire bleu de travail du mythique plombier de Shigaru Miyamoto, tentant d’éviter les barils lancés par son célèbre homologue québécois ou cherchant l’assassin du docteur Lenoir, retrouvé mort dans la salle à dîner, le crâne défoncé par un chandelier. L’image peut sembler absurde, presque surréaliste mais elle pourrait être vraie puisque nous sommes, jusqu’au 12 mars, en plein festival Montréal joue, là où tout est possible. À l’occasion de la 5e édition de cette incontournable vitrine de la vitalité montréalaise de l’industrie et de la culture du jeu, nous avons rencontré Thierry Robert, bibliothécaire et un des fondateurs du festival, et David Klis responsable de la programmation. Discussion autour de la naissance, de la croissance et de l’organisation de la grande fête montréalaise du jeu.

Montréal joue est né « dans la foulée d’un don de 1 590 jeux vidéos…»
©Montréal joue

Festival unique en son genre, loin de la culture geek qui inquiète et suscite les railleries de tous les Richard Martineau médiatiques de ce monde, Montréal joue est né « dans la foulée d’un don de 1 590 jeux vidéos fait au réseau des bibliothèques publiques de Montréal par Electronic Arts, Ubisoft et Eidos Montréal, qui venaient se joindre aux 1 280 jeux qu’elles avaient déjà, du moins 8 d’entre elles », lance tout de go Thierry Robert.

Un comité, comprenant des intervenants du réseau des bibliothèques et des arrondissements, se met rapidement en place pour faire connaître et valoriser cette nouvelle collection. Un festival de jeux vidéo s’impose naturellement, auquel on adjoint les jeux de sociétés, déjà présents et populaires depuis plusieurs décennies dans les bibliothèques de la métropole. « Comme il n’y avait pas de modèles pour nous inspirer, il a fallu le créer totalement. Il y avait bien sûr les conventions, du genre du ComicCon mais elles étaient plus des contre-modèles puisque qu’elles ne répondaient pas aux critères que nous nous étions fixés. Il fallait que les activités soient gratuites, qu’elles s’adressent à toute la famille et qu’elles se déroulent dans plusieurs lieux », renchérit celui qui devait aussi convaincre ceux qui étaient moins favorables à la présence de jeux vidéos dans les bibliothèques.

Parce qu’effectivement, un festival de jeux peut prendre des airs d’hérésie pour les traditionalistes qui se représentent encore la bibliothèque comme un austère lieu de savoir et de… silence. « Au contraire, il répond parfaitement à notre mission. La bibliothèque est toujours un lieu de connaissance mais la connaissance adopte maintenant plusieurs formes, elle ne se trouve pas que dans les livres. Il ne faut pas non plus oublier que la bibliothèque doit être un lieu de rassemblement et rien n’est plus rassembleur que le jeu », plaide-t-il avec un enthousiasme communicatif. Et il faut reconnaître qu’il attire une clientèle qui ne fréquenterait peut-être pas les bibliothèques dans d’autres conditions. Comme l’heure du conte, les ateliers d’écriture, les expositions et les autres activités offertes par et dans ces temples du savoir, le jeu devient un outil dynamique dans la stratégie pour attirer une nouvelle clientèle et satisfaire l’ancienne.

Si la présence et le rôle actif des bibliothèques font partis des caractéristiques du festival montréalais, que dire que son organisation décentralisée qui laisse une grande place aux différentes succursales du réseau montréalais. « C’est une autre de nos particularités. Nous nous occupons des activités hors bibliothèque, comme la Nuit blanche à l’hôtel de ville ou dans le Quartier latin et elles, elles décident et organisent leurs propres activités. Elles sont mieux placées que nous pour savoir ce qui plaît à leurs usagers », confirme-t-il en soulignant que les organisateurs leur fournissent un coffre à outils pour les aider à organiser leurs manifestations. « Si elles ont besoin de nous, nous les aidons plus activement comme dans le cas de la Nuit des zombies, un classique qui se déroule annuellement à la bibliothèque Frontenac », renchérit David Klis qui assume maintenant le stratégique rôle de directeur de la programmation.

L’an dernier ce sont 60 000 personnes qui ont participé…
©Montréal joue

Stratégique en effet, parce que le succès du festival ne se dément pas depuis sa création. « C’est indéniable qu’il répond à un besoin. On visait un événement plus modeste mais nous avons quand même reçu 5 000 visiteurs la première année. L’an dernier ce sont 60 000 personnes qui ont participé à une ou plusieurs des quelques 300 activités gratuites (200 cette année) proposées dans les 45 bibliothèques montréalaises et dans les sites hors bibliothèques, une augmentation de presque 400 %  sur l’assistance de la première année », ajoute Thierry Robert.

Le budget, quant à lui, est passé du 10 000 $ la première année à 200 000 $ l’an dernier, une croissance exceptionnelle qui demande une gestion serrée et des efforts pour ne pas que le festival leur échappe. « C’est le gros défi! » reconnaît David Klis. « Il faut gérer son développement, lui permettre de grandir et de garder sa qualité », tout en ne perdant pas son âme serions-nous tentés de rajouter.

« Il est important que les activités restent actuelles, qu’elles touchent les cordes sensibles autant des usagers des bibliothèques, que des joueurs occasionnels et des aficionados. C’est le moyen de garder notre pertinence ». Un souci qui demande aux organisateurs d’être à la fine pointe de l’actualité du jeu vidéo, du jeu de plateau et du jeu de rôle. « Une chance, les organisateurs sont déjà des joueurs et nous pouvons compter sur nos partenaires qui sont de très grands connaisseurs », affirme le directeur qui déplore du même souffle la timidité du gouvernement fédéral qui s’implique peu dans le festival. « Ce qui n’est pas le cas de la Ville de Montréal et du Québec qui eux y croient beaucoup », nuance Klis.

Mais au-delà de ces questions financières et de développement, la satisfaction et l’intérêt populaire qui ne faiblissent pas année après année témoignent de la place fondamentale qu’il occupe maintenant dans le paysage culturel montréalais. « J’ai bien hâte de le vivre cette année », rigole Thierry Robert. « Comme je ne l’organise pas cette année, je vais enfin pouvoir en profiter pleinement comme les autres participants », conclut l’ancien organisateur qui a une pensée pour son successeur qui, lui, devra mettre sa passion sur la glace jusqu’au 13 mars prochain.

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