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Les clés d’un bon jeu esport, partie 2: Huit premiers pas vers le succès

 

Le modèle esport est extrêmement attractif et ouvre la possibilité aux studios de jeux vidéo de regrouper et engager des communautés de joueurs et de joueuses fidèles. Mais développer et maintenir un bon jeu esport en vie n’est pas chose facile. 

Créer un jeu esport de qualité et profiter des bienfaits de ce modèle n’est cependant pas impossible, loin de là. Si certains jeux comme League of Legends ou Overwatch rencontrent un succès immense dans le monde du sport électronique, c’est qu’ils possèdent certaines caractéristiques essentielles à leur qualité. Ainsi, bien qu’il n’y ait pas de recette à suivre à la lettre pour créer des titres esport d’exception, on peut tout de même distinguer certains traits, certaines caractéristiques qui se répètent dans la plupart des grands jeux actuels et peuvent nous aider à comprendre l’origine de leur succès.

Mon entrevue (accessible ici) avec Michaël Daudignon, directeur marketing pour la plateforme de gestion de tournois Toornament et membre du conseil d’administration de la Fédération Québécoise des Sports Électroniques (FQSÉ), nous a déjà donné un point de vue professionnel sur la question des clés du succès d’un jeu esport, et nous a permis de distinguer certaines de ces clés. 

Voyons maintenant point par point, dans cette deuxième partie, quelles sont les caractéristiques d’un bon jeu esport. J’en ai listé huit dans les lignes qui suivent, mais il en existe sûrement plus! Si il vous en vient à l’esprit, je vous invite vivement à nous les faire partager dans les commentaires. _________________________________________________________________________________________________________________

L’aspect gameplay et évidemment au cœur du succès de tout bon jeu esport. Si des titres comme League of Legends ou Starcraft II regroupent des communautés aussi solides et fidèles, c’est d’abord parce que ces jeux sont dotés de gameplays compétitifs et dynamiques, mais surtout parce que les mécanismes du jeu laissent toujours aux joueurs et aux joueuses une grande marge d’amélioration et de nouvelles possibilités d’envisager leur façon de jouer. Il est donc possible de revenir  en permanence sur un jeu pour remettre ses compétences déjà acquises à l’épreuve, en développer de nouvelles, et toujours s’entraîner pour viser l’excellence en compétition. Par conséquent tout développeur de bon jeu esport doit faire en sorte de prolonger à l’infini la courbe d’apprentissage de son jeu, et qu’il y ait toujours une possibilité de s’améliorer encore et encore, car comme le dit Master Yi: “A true master is an eternal student”.

Prolonger cette courbe d’apprentissage implique plusieurs choses. Les développeurs doivent être en mesure de remanier en permanence certains éléments déjà présents dans le jeu, par le biais de patchs, de mises à jour ou de nerfs de certains héros jouables (ou armes, sorts…) dans le cas de certains jeux, créant ainsi constamment de la nouveauté, et des opportunités pour les joueurs et les joueuses de s’adapter à une nouvelle façon de jouer. 

Il est également essentiel de développer régulièrement du nouveau contenu pour le titre et de souffler sur les braises incandescentes du jeu de base pour le maintenir en vie. Cela peut passer, par exemple, par le lancement de nouveaux modes; Overwatch l’a très bien fait avec l’apparition du mode Uprising récemment. Lancer de nouveaux héros, nouvelles cartes ou nouvelles armes permet également d’offrir aux joueurs et aux joueuses de nouvelles façons d’envisager le gameplay et de nouvelles façons d’exploiter les mécanismes du jeu.

Pour résumer, tout développeur visant à créer le prochain succès de la scène esport doit prendre soin de maintenir le titre en vie en créant en permanence un renouveau dans le jeu qui incitera les joueurs et les joueuses à revenir, et prolongera la courbe d’apprentissage de tous, même des meilleurs d’entre eux.

D’un point de vue business, les implications sont nombreuses: créer un jeu esport est un investissement à long terme, il est donc essentiel d’avoir les ressources (humaines, financières…) nécessaires pour maintenir le jeu en vie et le faire perdurer sur le long terme. Ce n’est pas pour rien que certains studios de développement (notamment Riot Games) sont entièrement dédiés à un seul jeu: gérer un titre esport demande un travail colossal.

Adapter le jeu au visionnage sur grand écran est essentiel
Source: Lolesport.com

Tout jeu esport a pour vocation d’être visionné par un public. La conséquence évidente de ce point est qu’il faut optimiser le jeu pour qu’il soit agréable à regarder, et qu’il offre aux spectateurs une expérience la plus intense et complète possible.

Cela passe par un aspect visuel intéressant, où la qualité technique du jeu joue un rôle non négligeable, bien qu’assez secondaire. Il est important, cependant, de faire attention sur ce point, car créer un titre très poussé techniquement est à double tranchant. Un jeu visuellement dépassé risque d’engendrer le désintérêt d’une partie de la communauté, mais un jeu absolument sublime exploitant toutes les technologies dernier cri risque de bouder les joueurs et les joueuses ayant un budget plus bas, ne tournant pas nécessairement sur un SLI de deux GTX1080, 70Gb d’espace disque et 16Gb de RAM. Il faut donc trouver un certain équilibre. La plupart des grands jeux esport actuels restent d’ailleurs sur un niveau de performance technique permettant aux joueurs et aux joueuses ayant de plus petites configurations d’apprécier le jeu au même niveau que les plus fortunés d’entre nous (à noter que je parle ici des jeux esport sur PC. Les titres consoles seront évidemment limités techniquement aux capacités de leurs plateformes).

Quand je parle de “rendre le jeu agréable à jouer et à regarder”,  je ne parle donc pas tellement, par exemple, de la qualité des graphismes, mais plutôt de la qualité du level design. Créer des environnements exploitables pour développer des stratégies qui leurs sont adaptées et permettre aux joueurs et aux joueuses d’exploiter le terrain à leur avantage ajoute beaucoup d’intérêt au jeu. On peut par exemple incorporer différents passages secrets, points stratégiques pour engager une teamfight… Overwatch est un excellent exemple de jeu possédant un level design de qualité. Un joueur d’Overwatch me disait un jour “en fait, dans Overwatch, tout est une question de placement, pas besoin de savoir viser et faire trente-six actions à la seconde, si tu arrives à te placer sur la carte et être au bon endroit au bon moment, tu sais déjà bien jouer “. C’est en grosse partie parce que ce jeu bénéficie d’un level design de très haute qualité qu’il est aussi intéressant à regarder et à jouer. Les cartes sont truffées de plateformes desquelles un vicieux petit Reaper peut sauter pour lancer un ultimate, de toits depuis lesquels une Widowmaker pourra devenir un cauchemars pour l’équipe adverse, et de portes étroites devant lesquelles un Junkrat se fera un plaisir de poser un piège et de vous regarder, impuissant que vous êtes, contempler votre mort prochaine en riant narquoisement. 

Enfin, rendre le jeu agréable à regarder implique bien sûr la présence d’un mode spectateur, permettant à une audience plus ou moins large d’assister à une partie, et de pouvoir vivre une expérience des plus complètes et intenses possibles à l’écran. 

permettre aux joueurs et aux joueuses d’exploiter le terrain à leur avantage ajoute beaucoup d’intérêt au jeu.

Ici encore, je me place du point de vue des spectateurs. Si l’on souhaite viser une audience assez mainstream, et toucher un plus grand nombre de spectateurs potentiels, il faut créer un gameplay facile à comprendre. Par “facile à comprendre”, comme il était mentionné dans mon entrevue avec Michaël Daudignon, je ne veux pas parler d’un gameplay nécessairement simple en soi, bien au contraire, maîtriser un jeu esport demande la plupart du temps un gros investissement personnel et de nombreuses heures de pratique. Je veux ici parler d’un gameplay simple à regarder. Il faut que le spectateur le moins averti soit capable de comprendre ce qui se passe à l’écran. Personnellement, quand je ne jouais pas encore à Overwatch ou CSGO, je réussissais tout de même remarquer de belles actions, n’ayant pourtant jamais touché au jeu. De même sur un match de Rocket League, pas besoin d’être un expert pour constater qu’un beau but vient d’être marqué. Tout le monde doit pouvoir s’y retrouver et apprécier le spectacle, même sans être un professionnel du jeu en question. 

On peut bien sûr exploiter des gameplays plus techniques et plus difficiles à comprendre, mais le jeu en question s’adressera alors à une audience plus restreinte, et deviendra un jeu niche. C’est un modèle parfaitement envisageable, bien évidemment, et on ne peut qu’encourager les développeurs à inventer en permanence de nouvelles façons de jouer, mais un gameplay trop compliqué à analyser risque de désintéresser une grosse partie de l’audience potentielle du jeu. Les développeurs s’aventurant dans cette voie doivent avoir conscience de ce risque. 

Un level design intéressant est primordial au succès d’un jeu esport.
source: Business insider

Même principe, encore et toujours, tout jeu à caractère esport a pour vocation d’être regardé, il faut donc qu’il soit possible d’organiser un spectacle autour d’une partie, et donc de capter l’attention des spectateurs tout le long du jeu en tenant l’audience en haleine du début à la fin. Pour cette raison, les développeurs gagneront à favoriser des parties courtes, ou moyennement longue. Ce n’est qu’une estimation personnelle, mais je pense qu’une partie ne devrait pas dépasser une heure, en s’accordant peut-être une dizaine de minutes de plus ou de moins. Ce que l’on constate d’ailleurs, bien que certains réussissent parfois à prolonger certaines parties (sur DOTA II ou Starcraft II notamment) sur plusieurs heures, c’est que la plupart des parties en esport de dépassent pas cette limite de soixante minutes. Il faut toujours, en développant le jeu, garder le public en tête. Certains voudront aller boire un verre entre deux matchs, se dégourdir les jambes, débriefer la partie précédente. Dans cette perspective, si une partie se prolonge trop, impossible de maintenir l’attention du public. On ne pourrait sans doute pas, par exemple, faire d’un jeu de macro stratégie comme Civilization ou Total War un jeu esport, car ce sont des jeux qui s’apprécient sur la longueur, et dont les parties peuvent facilement dépasser les cinq heures. On peut aisément escorter un payload, mettre à bas le nexus adverse ou désamorcer une énième bombe terroriste en une heure de jeu, mais c’est une toute autre chose quand il s’agit de conquérir l’Europe ou d’asseoir sa domination sur le monde entier. 

Si une partie se prolonge trop, impossible de maintenir l’attention du public.

On a tous cet ami(e) insupportablement bon(ne) qui se pavane de partie en partie avec ses skins magnifiques, son pseudonyme orné d’une icône « Diamond » ou « Platinum« , et son arme plaquée or, fruit de dures heures passées à jouer et farmer. Cet ami(e) aussi insupportable soit-il/elle, lève le voile sur une autre clé du succès d’un bon jeu esport: il faut récompenser et promouvoir les joueurs et les joueuses pour leur temps passé sur le jeu. Il y’a de nombreuses raisons de jouer à un jeu esport, atteindre des sommets et être reconnu par ses pairs en est une.

Pour se faire, la solution la plus répandue (qui est d’ailleurs, je pense, utilisée dans presque littéralement tous les jeux esport, avec quelques exceptions sans doute) et de créer un système de classement, et surtout de rendre ce classement visible par les autres. Il faut que le Bronze (vous savez? Celui qui joue Genji alors qu’il vous manque un healer) puisse voir le Diamond et se dire « Je vais jouer, m’améliorer, et dans un an je serai Diamond aussi. »

Si le système de classement est à la base du principe de promotion, il est loin d’être la seule solution. On peut promouvoir ses joueurs et ses joueuses en leur offrant des skins d’armes ou de personnages, des taunts, des trophées, ou tout autre contenu rare qui leur permettra de montrer leur talent et leur accomplissement dans le jeu.

Accorder des récompenses à sa communauté et promouvoir certains joueurs et certaines joueuses constitue une source de motivation, qui incitera les meilleurs à rester les meilleurs, et les moins bons à s’améliorer pour rivaliser avec ces derniers.

L’intérêt primordial du esport est, entre autres, d’opposer le talent des joueurs entre eux. Ce principe est à la base de toute compétition. Des concurrents s’affrontent, mettent leurs compétences à l’épreuve les unes contre les autres, jusqu’à ce qu’un(e) vainqueur(e) parvienne à sortir du lot de par son talent. La conséquence directe de ce principe est qu’il faut à tout prix éviter de faire entrer en jeu des éléments de hasard ou de chance qui pourraient faire peser la balance en faveur d’un des joueurs ou d’une des joueuses. Les développeurs doivent donc faire attention, par exemple, à ne pas créer des personnages cheatés, à ne pas créer une carte donnant l’avantage du terrain à un des camps et à éviter de faire entrer dans le jeu des éléments mettant en jeu la chance au dépit du talent. Équilibrer les forces est essentiel à la survie de l’intérêt du jeu sur le long terme. Les parties doivent absolument rester justes.

L’objectif est de donner à chaque joueur ou joueuse des chances équitables de l’emporter sur son adversaire, en évitant les éléments aléatoires, et en évitant de donner l’avantage à qui que ce soit.

Un titre esport est plus qu’un simple jeu. Il implique des joueurs et des joueuses professionnel(le)s, des tournois parfois gigantesques, des stars admirées par leurs fans… Autour de ces tournois, de ces événements, de ces affrontements épiques qui amènent les participant(e)s à repousser les limites de leur jeu, de véritables histoires, voire de véritables mythes se créent. Il est important, pour avoir du succès sur la scène esport, de faire vivre le mythe de son jeu, de toujours garder une trace des anciens joueurs qui ont mis le feu aux scènes, comme on pourrait se souvenir de sportifs légendaires, et de toujours garder une trace des événements marquants qui ont pu initier un tournant dans l’histoire du jeu. 

Cet aspect essentiel échappe, peut-être, aux mains des développeurs et est sans doute délégué aux organisateurs de tournois, aux commentateurs et au public lui même qui font vivre, tournoi après tournoi, l’histoire du sport électronique. La façon dont les compétitions sont couvertes par les médias, l’enthousiasme qui se dégage du public et des commentateurs, la mise en scène qui rend ces spectacles aussi grandioses font selon aussi partie des clés du succès d’un jeu esport. Il faut rendre l’événement marquant, il faut des images fortes dont les spectateurs se souviendront, en bref, il faut faire vivre l’histoire du jeu à travers le esport, et à travers la compétition.

Autour d’un jeu esport, il y’a des joueurs et des joueuses passionné(e)s
Source: lolesport.com

Vous l’aurez donc compris, il existe un certain nombre de caractéristiques que tout jeu à caractère esport se doit de posséder pour rencontrer le succès dans ce domaine. Mais j’aurais tort de prétendre que la qualité d’un jeu esport ne réside que dans le jeu en lui-même. Au cœur de tout jeu esport, il y a une communauté de joueurs et de joueuses passionné(e)s, et ces gens ne passent pas leurs vies devant des écrans: Ils sortent, socialisent, partagent leur passion entre eux. Me prenant moi-même pour exemple, étant un amateur de jeux de stratégie, je prends souvent plus de plaisir à parler des aléas et du déroulement de la partie avec mon adversaire après coup qu’à jouer. J’aime parler de esport et partager ma passion autant que j’aime jouer.  

Pour un développeur, être capable d’étendre l’expérience du esport en dehors du jeu en lui-même est essentiel. Il faut faire vivre la communauté, organiser des événements, amener les gens à casser la glace du monde virtuel pour se rencontrer IRL et créer des liens sociaux solides entre eux. Il faut mettre en valeur certains joueurs et leurs exploits, organiser des tournois locaux pourquoi pas? Au niveau de l’expérience des joueurs et des joueuses hors jeu, les possibilités sont très nombreuses, et il ne tient qu’aux studios de tirer le meilleur de leurs communautés et de les faire vivre en dehors des arènes et des cybercafés. En renforçant ces liens sociaux, des communautés solides peuvent émerger, qui feront vivre le jeu, le feront avancer, et au fil des parties, compétitions et tournois, en forgeront l’histoire.

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À l’heure actuelle, où le sport électronique se démocratise et gagne l’intérêt d’un public de plus en plus grand, il devient essentiel pour nous joueurs et joueuses de nous interroger sur ce qui fait la qualité de ces jeux esport. Bien qu’il existe sans doute de nombreuses autres clés auxquelles je n’ai pas pensé,  et qu’il n’y ait pas de recette fixe pour créer un bon jeu esport, on constate que les éléments cités dans cet article sont présents dans chaque grand succès de la scène du sport électronique. En avoir conscience constitue donc une bonne base de réflexion, pouvant être exploitée pour viser toujours plus haut et envisager de nouvelles façons de voir le esport et de le faire grandir.

Et bien évidemment, je ne suis qu’un joueur parmi des millions d’autres. Si d’autres traits essentiels d’un bon jeu esport vous viennent à l’esprit, ou si vous désapprouvez ceux que j’ai listé ici, je vous invite vivement à nous le faire savoir dans les commentaires!

En attendant le prochain article, portez-vous bien, jouez avec (un peu de) modération, et quand un membre de votre équipe se porte volontaire pour jouer Mercy, n’oubliez par de l’honorer, c’est important.

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