Est-ce que le public lit encore les critiques ?

On essaie de savoir si le public lit encore les critiques de jeux vidéo et autres

Vous avez peut-être remarqué que depuis quelques temps, on publie moins de critiques sur Jeux.ca, et qu’on se concentre plus sur d’autres types de textes, des nouvelles aux textes d’opinion.

La vérité, c’est que pour une petite équipe qui doit privilégier sur quoi elle met son temps, force était d’admettre que les critiques n’étaient pas nos textes les plus populaires, même si c’est agréable à écrire pour nous.

Mais il semble que notre situation n’est pas isolée, si on en croit le PDG d’Embracer (qui ont récemment fait l’acquisition des studios montréalais de Square Enix) qui a déclaré que « l’époque où les scores Metacritic déterminaient le succès d’un jeu est révolue ».

Alors est-ce que le public lit encore les critiques ?

L’ère des médias sociaux

En effet, c’est dans un appel aux investisseurs qu’il y est allé de cette déclaration surprenante. L’animateur de la rencontre soulignait que le plus récent jeu publié par l’éditeur, Evil Dead: The Game, avait reçu des notes correctes (74 sur Metacritic), mais performait au-delà des attentes d’Embracer.

Il a dit que de nos jours, ce sont « les médias sociaux, les influenceurs et le buzz » qui vendent les jeux.

Et force est d’admettre qu’il n’a pas tort. L’une des plus grosses surprise des dernières années, Among Us, était déjà un vieux jeu qui était passé inaperçu. Mais quand des streamers sur Twitch s’en sont emparé, le titre est devenu viral.

De l’autre côté du spectre, Marvel’s Guardians of the Galaxy a reçu de plutôt bonnes critiques à sa sortie (80 sur Metacritic pour la version PS5), mais tout semble indiquer que les ventes ont été décevantes.

Godfall | November 12, 2020

Un autre bon exemple est Godfall; le jeu a reçu des critiques plutôt négatives à sa sortie (59 pour la version PC sur Metacritic), mais les ventes ont été plutôt bonnes, à force de mises à jour et de buzz positif.

Pourquoi le public se désintéresse des critiques?

Bref, tout semble indiquer qu’en effet, les sites de streaming comme Twitch, les médias sociaux comme Facebook et Reddit et les influenceurs ont plus d’impacts sur les ventes de jeux, dorénavant, que les traditionnels critiques de jeux.

Mais pourquoi?

À mon avis, les raisons sont nombreuses.

1) Pas tous les joueurs sont nécessairement à la recherche active de nouveaux jeux.

Je connais des joueurs qui vont écouter un streamer en particulier, pas tant pour les jeux auxquels il joue que parce que c’est leur streamer préféré.

Alors oui, ces spectateurs fidèles vont peut-être découvrir de nouveaux jeux leur streamer favori va s’y mettre. Mais ils ne seraient pas nécessairement partis à la recherche de nouveaux jeux en arpentant les nouveautés sur Metacritic, ou en allant visiter leur site de jeux favoris (jeux.ca, évidemment).

2) La confiance envers les critiques s’est effritée.

J’entends souvent ce commentaire envers les critiques; « on sait bien, ils sont payés par les éditeurs! »

Faudrait me dire comment on fait pour recevoir ces fameux pots-de-vin des éditeurs, parce que visiblement, je n’ai jamais reçu le mémo. Je ne dis pas que c’est impossible.

Mais j’ai personnellement écrit pour plusieurs sites, et je n’ai jamais été témoin de cette pratique. J’ai également fréquenté des gens qui écrivent pour des bien plus grands médias, le genre de gros noms américains que vous connaissez, et eux non plus n’ont jamais été témoins d’une telle pratique.

En fait, les critiques ont souvent le problème inverse; c’est une industrie si peu payante que la plupart doivent la quitter dès qu’ils veulent fonder une famille, parce que c’est simplement impossible de vivre dans une grande ville avec les salaires versés aux journalistes de jeux.

Mais malgré tout, cette méfiance de la part des joueurs envers les journalistes persiste, et souvent les joueurs préfèrent faire confiance à des influenceurs, avec qui ils ont une relation de confiance… même si ceux-ci acceptent souvent de l’argent de la part des éditeurs sous forme de contenu sponsorisé.

3) Les critères qui intéressent les critiques ne sont pas toujours les mêmes qui intéressent les joueurs

Personnellement, je consomme les jeux comme un cinéphile consomme le cinéma. J’essaie de joueur au plus grand nombre de jeux possible et de tout essayer, des nouveautés aux grands classiques d’antan.

Je ne suis pas du genre à m’attarder à un jeu bien longtemps; une fois un jeu complété, il est noté, puis rangé dans sa bibliothèque où il restera un bon moment (voire pour toujours).

Or, comme je joue à des dizaines et des dizaines de jeux chaque année, et que je vois mon backlog grandir sans le moindre espoir d’en venir à bout un jour, ce qui me préoccupe quand je joue à un jeu est différent; est-ce que ce titre est original, ou ressemble-t-il à plusieurs jeux sortis récemment? Est-il respectueux de mon temps, ou la durée de vie est-elle artificiellement gonflée?

Critique - Days Gone - Jeux.ca

En plus, quand on écrit une critique, on doit souvent compléter le jeu dans un laps de temps très serré. Je me souviens particulièrement d’avoir fait la critique de Days Gone, à l’époque. J’avais dû compléter ce jeu qui durait plusieurs dizaines d’heures en une semaine.

Disons qu’après une semaine à jouer du matin au soir à des missions qui se ressemblaient toutes, dans un monde qui ressemblait à une tonne de jeux sortis à la même époque, le manque d’originalité et de variété m’irritaient au plus haut point, et j’avais été plutôt négatif dans ma critique.

Mais beaucoup de joueurs ont aimé le jeu, probablement parce qu’ils ne jouent pas nécessairement à tous les jeux qui sortent, parce qu’ils achètent seulement quelques jeux par année et que la durée de vie est donc une donnée plus importante, et parce qu’ils ont joué à un rythme plus normal qui faisait moins ressortir la répétition.

4) On vit l’époque du multijoueur

Les jeux multijoueurs ont toujours été populaires, depuis la belle époque de Pong, jusqu’à Street Fighter II en passant par Halo en LAN party.

Mais avec la pandémie qui nous a littéralement empêchés de nous voir en personne, les jeux multijoueurs en ligne ont pris un essor encore plus important.

New World Preview - News | New World

Logiquement, quand on cherche un jeu pour jouer avec nos amis, la réaction critique devient bien moins importante que la présence de nos amis sur les serveurs. Ce qu’on cherche, ce sont des serveurs bien peuplés et un jeu qui sera suffisamment addictif pour captiver notre gang d’amis pendant de longues heures, peu importe la qualité du scénario ou l’ingéniosité des mécaniques.

L’effet pervers de la disparition des critiques

Bref, beaucoup de joueurs s’intéressent moins aux critiques professionnelles, pour plusieurs raisons tout à fait compréhensibles.

Mais cette plus grande emphase sur les réseaux sociaux, le streaming et les influenceurs change la conception des jeux eux-mêmes.

C’est une des raisons pour lesquelles les jeux solo basés sur l’histoire sont moins populaires. Horizon: Forbidden West représente bien les risques de ce nouveau paradigme. Le jeu a été bien reçu, autant par la critique que par le public… mais il est vite disparu de l’espace public. Une fois l’histoire complétée, les joueurs sont passé à autre chose (cette autre chose étant Elden Ring).

Ça ne veut pas dire que les jeux axés sur le solo sont voués à la disparition. Elden Ring, justement, est un succès monstre, et il est surtout conçu pour être joué seul (même si on peut y jouer en coop).

Mais pour la plupart des jeux, il est impératif qu’il reste longtemps populaire sur Twitch et Youtube pour inciter les joueurs à revenir au jeu, et surtout à dépenser pour des ajouts, cosmétiques ou non.

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D’ailleurs, cette domination de l’aspect social et les pratiques de monétisation à long-terme se nourissent mutuellement; le streaming maintient la popularité d’un jeu sur le long-terme, justifiant l’ajout de nouveau contenu (souvent payant), et ce nouveau contenu permet d’étirer la vie du jeu sur les plateformes de diffusion.

Bref, un avenir où Twitch passe avant les critiques risque d’encourager plus de GTA online, et moins de Horizon: Forbidden West.

Un jeu n’est pas nécessairement meilleur que l’autre, mais peut-être que l’idéal se situe quelque part entre les deux?