La Guilde des développeurs de jeux vidéo indépendants du Québec a récemment annoncé sa collaboration avec Nintendo pour dynamiser le développement de jeux indies sur la Switch. Lors d’un événement visant à introduire cette nouvelle collaboration, nous avons pu nous entretenir avec Jean-Martin Aussant, ancien député Péquiste devenu directeur général de la Guilde. Nous avons pu lui poser de nombreuses questions sur sa nouvelle implication dans l’industrie du jeu vidéo, sur ses ambitions par rapport à cette industrie au Québec et sur l’avenir de la Guilde.
Jeux.ca : Ayant été musicien, puis financier, puis politicien, nous pouvons légitimement dire que vous avez un parcours assez atypique. Après toutes ces expériences, qu’est ce qui vous a motivé à rejoindre la Guilde ?
Jean-Martin Aussant : Oui, je suis musicien à la base et pianiste avant toute chose. J’ai un parcours d’artiste et je compose de la musique depuis que j’ai douze ans. En ce qui concerne mes motivations, j’aime le fait que la Guilde est une coopérative car j’ai un fort penchant pour les entreprises collectives. J’ai travaillé quelques années au chantier de l’économie sociale qui chapote les coopératives, les OBNL (Organisations à But Non Lucratif) et autres entreprises collectives; la Guilde avait donc déjà un petit attrait pour moi. Ajoutons à cela le fait que je suis un gamer moi-même et que le jeu vidéo m’a toujours intéressé. Enfin, je suis un fier Québécois, et j’aspire à promouvoir et à contribuer au succès des fleurons du Québec. Le jeu vidéo est clairement un fleuron Québécois sur le plan mondial, c’est donc un plaisir pour moi de me joindre à cette industrie là.
Jeux.ca : Vous dites que vous êtes gamer vous même. Jouez-vous souvent aux jeux vidéo ?
Jean-Martin Aussant : Un peu moins maintenant, parce que j’ai des enfants. Quand je n’en avais pas, je passais en effet beaucoup de temps par jour à jouer aux jeux vidéo, notamment à des RPGs et à des FPS. J’ai souvent libéré Berlin, Paris et Moscou à moi tout seul. A l’époque, je jouais beaucoup à Call of Duty et Medal of Honor. Actuellement, je joue surtout à The Elder Scrolls et à d’autres jeux de la Nintendo Switch avec mes enfants, qui aiment beaucoup Super Smash, le jeu Québécois Gauche-Droite : le manoir et Mages of Mystralia, un autre jeu Québécois. Quand ils ont les manettes de Switch dans les mains, c’est très difficile de leur enlever (rire), mais je les regarde souvent jouer.
Jeux.ca : Qu’est ce que le jeu vidéo vous a apporté sur un plan personnel?
Jean-Martin Aussant : Le jeu vidéo me relaxe, un peu comme quand je jouais du piano en ne pensant à rien d’autre. Jouer me détend et me change un peu les idées. Je ne sais pas si c’est le cas de tout le monde, mais le jeu vidéo a eu un petit effet thérapeutique sur moi. Cela me fait du bien de jouer à un jeu que je veux finir, de progresser dedans etc.
Jeux.ca : Vous avez mentionné que le jeu vidéo est un fleuron du Québec. Qu’est ce qui explique selon vous que le Québec est aujourd’hui capable de rivaliser avec d’autres zones géographiques (Californie, Japon…) en terme de développement de jeux vidéo?
Jean-Martin Aussant : Je pense qu’on a au Québec une créativité qui est assez unique dans le monde. Le talent des gens d’ici qui développent des jeux vidéo explique une très grande partie de notre succès. Il y’a aussi eu une volonté politique visant à faire sorte que les jeux vidéo soient confortablement installés à Montréal. Je pense donc que le mélange de la créativité unique qu’on a ici combinée au contexte et à l’environnement qu’on a rendu favorable au développement du secteur a donné les résultats spectaculaires que l’on observe aujourd’hui, et ce n’est pas fini. Il y’a encore au Québec un grand potentiel de croissance pour l’industrie du jeu vidéo.
Jeux.ca : Quelles ambitions avez-vous quant au futur de l’industrie du jeu vidéo au Québec ?
Jean-Martin Aussant : Domination mondiale (rire). Sérieusement, je voudrais personnellement que le Québec devienne le premier pôle du jeu vidéo mondial. Nous sommes déjà bien partis pour cela. La Guilde regroupe en son sein les studios dont le siège social est Québécois, ceux que l’on appelle les développeurs indépendants. Cela représente déjà plus de cent-soixante studios. Ceci étant dit, tous les studios indépendants ne sont pas membres de la Guilde et il en reste encore quelques uns à aller chercher, mais ce n’est qu’une question de temps. Ce côté local reflète vraiment la diversité et la créativité que l’on a ici. En réalité, la Guilde est déjà la plus grande association dans le monde en jeu vidéo en terme de nombre de membres.
Jeux.ca : Que fait la Guilde pour aider les studios de développement de jeux indépendants ?
Jean-Martin Aussant : À la base, nos activités reposent sur une mutualisation des services. Nous sommes par exemple une plateforme sur laquelle sont disponibles des services de tenue de livres, de ressources humaines, de conseils légaux pour des studios qui souvent ont une idée géniale pour un jeu mais ne comptent pas nécessairement dans leurs équipes des avocats ou des entrepreneurs habitués à aller chercher du financement. Il y’a donc des services aux membres qui sont développés à partir de cette plateforme là. Aussi, qui dit mutualisation des services dit assurance collective pour les employés du secteur du jeu vidéo membres de la Guilde. Nous voulons également faire de plus en plus d’événements locaux et internationaux avec une bonne portée afin de promouvoir le secteur. Nous venons notamment d’annoncer que le MEGA et le MIGS vont pour la première fois être organisés conjointement en Novembre.
Jeux.ca : La Guilde organisera-t-elle d’autres événements marquants dans le futur?
Jean-Martin Aussant : Nous organisons régulièrement ce que l’on appelle des Jam Nations, dont la finale sera organisée sous peu. En plus de cela, il y’a les soirées de la Guilde, qui permettent aux gens de l’industrie de venir se retrouver et de se parler. Au Québec, on a la spécificité d’être assez ouverts sur le collectif. Si vous discutez avec les gens qui démarrent des studios ici, ils vous diront que quand ils parlent aux américains, ils entendent souvent qu’il y’a un effet Québec dans le jeu vidéo. Ici, au lieu d’essayer de se manger et de se concurrencer, les gens ont plus tendance qu’ailleurs à collaborer. La Guilde est un excellent exemple de cela, c’est une coopérative de producteurs que se réunissent pour mutualiser des services. C’est une grande force du Québec qui solidifie encore plus le secteur du jeu vidéo.
Jeux.ca : Quels sont les plus gros défis à venir pour la Guilde ?
Jean-Martin Aussant : Je pense que le plus gros défi est de garder l’excellence que l’industrie a su conserver au Québec, et de faire en sorte que le Québec soit à l’avant de tous les nouveaux développements qui vont survenir dans les prochaines années dans le secteur afin de bénéficier des innovations qui arrivent. Vous avez vu l’annonce de Google, qui commence à s’intéresser au jeu vidéo de plus en plus. C’est tout de même un signe avant coureur qui annonce encore beaucoup de progrès et de croissance dans cette industrie. Le Québec a donc intérêt à rester fort dans le secteur du jeu vidéo, car c’est un secteur d’avenir, il n’y a aucun doute. On parle souvent de la partie divertissement des jeux vidéo, mais je suis convaincu qu’on va également voir apparaître de plus en plus d’applications à finalités sociales, notamment dans le domaine de la santé, pour les personnes âgées, pour les étudiants, pour les travailleurs sectoriels. Le nombre de possibilités qu’on peut exploiter avec les jeux vidéo à des fins sociales, économiques ou pour le divertissement est infini. Il y’a déjà des studios membres de la Guilde qui ont un aspect social très fort, je pense notamment à Affordance Studio.
Jeux.ca : Pensez-vous qu’il peut y avoir des synergies entre les studios indépendants comme ceux de la Guilde et les plus gros joueurs comme Ubisoft ou Eidos ?
Jean-Martin Aussant : Je pense que les deux ont un rôle fondamental à jouer dans l’industrie du jeu vidéo. Les grands groupes mondiaux qui se sont installés ici ont été très important pour l’éclosion de l’industrie au Québec. Les près de deux-cent studios indépendants installés au Québec sont aussi fondamentaux pour la vitalité du secteur. Les gros comme les petits ont tout intérêt à se parler et à collaborer lors d’événements comme le MEGA et le MIGS en Novembre ou encore les soirées que nous allons organiser, ou simplement en rapprochant nos deux associations : la Guilde et l’Alliance Numérique, ce qui à mon avis va se faire naturellement. Il serait bon que l’industrie parle d’une seule voix.
Jeux.ca : Louis-Félix Cauchon, co-fondateur de la Guilde, mentionnait qu’il voulait faire du Québec la Silicon Valley du jeu vidéo. Cet objectif tient-il toujours?
Jean-Martin Aussant : C’est dans la droite ligne de ma mégalomanie de domination mondiale (rire). C’est moi qui ai prit ça de lui. Le Québec a tout ce qu’il faut, nous sommes déjà dans le top trois, bien que cela dépende des mesures. Dans certains secteurs, nous sommes les premiers. En terme de nombre de studios, par exemple, la Guilde est, comme je l’ai dit, la première organisation mondiale. Nous sommes également les leaders en terme de nombre d’employés et en terme d’outputs économiques. Le Québec est donc assez dominant, et puis… pourquoi se limiter au top trois ?
Jeux.ca : Quel(s) conseil(s) auriez-vous à donner à un studio de développement indépendant qui voudrait venir s’implanter au Québec ?
Jean-Martin Aussant : Venez (rire). Il y’a un écosystème stable qui se crée, de plus en plus de services disponibles pour les studios indépendants et notre environnement pour les studios qui veulent progresser dans le domaine est assez unique au monde. Nous avons déjà fait un bon bout de chemin, mais il y’a encore beaucoup de potentiel pour être encore plus efficaces et plus accueillants pour les studios de toutes les régions du monde qui voudront s’implanter ici.