Lors du Game Jam Ludum Dare 44 qui s’est tenu en avril dans les locaux de Behaviour Interactive, nous avons pu parler avec Stephen Mulrooney, chef des technologies et vice président sénior du studio. Suite au succès massif de Dead By Daylight sur Steam, l’entreprise montréalaise fondée en 1992 a connu une croissance phénoménale et, portée par l’ambition et le talent de ses 500 employés, fait désormais face à un futur très prometteur. Nous avons discuté de ce futur avec M. Mulrooney, ainsi que des défis auxquels le studio doit faire face actuellement pour l’atteindre.
Jeux.ca : Qu’est ce qu’un événement comme le Game Jam Ludum Dare apporte à Behaviour Interactive ?
Stephen Mulrooney : Je pense que c’est une chance pour nous de montrer au public qui nous sommes en tant que studio de développement et quelles sont nos valeurs. Nous avons un programme chez Behaviour nommé « Be free » qui permet à n’importe quel employé de notre studio ayant envie de développer une idée de jeu de travailler dessus sur son temps libre. Dans la plupart des entreprises du milieu du jeu vidéo, votre cerveau appartient au studio. Tout ce à quoi vous pensez lorsque vous êtes au travail est la propriété de vos supérieurs. Nous ne faisons pas ça. Il suffit à un de nos employés de nous dire qu’il travaille sur un projet de jeu à part, et à partir du moment où il n’y a pas de conflit d’intérêt avec nos autres projets, cet employé est libre de faire avancer le sien comme il veut. Nous voulons attirer des développeurs talentueux et les laisser savoir que nous sommes ouverts aux idées indépendantes, que nous sommes passionnés par le développement de jeux et que nous voulons recruter des gens qui partagent cette passion. Ce game jam peut nous aider à nous faire connaître auprès de ces personnes là. C’est aussi une opportunité pour nous de participer à la culture du développement de jeux vidéo à laquelle nous tenons énormément. Dès qu’un jeu indépendant sort à Montréal, nous sommes toujours très enthousiastes à l’idée de rencontrer ses créateurs. Il n’y a pas vraiment de compétition entre les studios, et c’est un privilège pour nous de contribuer à construire la scène du jeu vidéo locale.
Jeux.ca : Le game jam était autrefois réservé aux employés de Behaviour Interactive, mais vous avez cette fois-ci décidé de l’ouvrir aux participants externes. Pourquoi avoir pris cette décision ?
Stephen Mulrooney : C’est d’abord parce que nous essayons de nous faire connaître de plus en plus en tant que studio. Depuis que nous avons publié Dead By Daylight il y’a quelques années, nous avons acquis de nouvelles opportunités pour parler de nos propres projets et des jeux qui nous appartiennent réellement. Avant, on travaillait majoritairement sur des licenses qui n’étaient pas les nôtres ; communiquer notre image de marque et faire connaître Behaviour au grand public était donc plus compliqué. Par cette ouverture aux participants externes, nous voulons donc améliorer la notoriété du studio et augmenter son influence locale. Deuxièmement, nous sommes très fiers de l’espace dans lequel nous nous sommes installés récemment et nous voulons le partager avec la communauté. Quand nous étions situés sur le Boulevard De Maisonneuve, il aurait presque été impossible d’organiser un événement comme celui-ci.
Jeux.ca : Si Behaviour développait autrefois majoritairement des jeux pour des parties externes (i.e : Warner Bros., HBO…), la sortie de Dead By Daylight vous a permis de commencer à travailler sur vos propres jeux. Qu’est ce que ces licenses apportent à l’entreprise ?
Stephen Mulrooney : Avoir nos propres licenses apporte bien sûr plus à l’entreprise en termes de revenus. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous avons décidé de développer nos propres jeux, mais c’est un aspect non négligeable. En plus des revenus, la notoriété de Behaviour Interactive a énormément grandi grâce à Dead By Daylight. Ceci étant dit, la raison la plus importante qui nous a amené à mettre nos propres licenses de l’avant est que notre entreprise est très focalisée sur la culture du gaming et que nous avons des idées de jeux que nous voulons développer pour contribuer à son enrichissement. Il y’a des jeux qui, selon nous, doivent absolument être créés, et sur lesquels nous voulons absolument travailler. Quand on développe un jeu pour une partie externe comme Warner Bros. par exemple, on a souvent une marge de flexibilité pour poursuivre notre propre vision mais on est obligés de la concilier avec les attentes du client. On se fait forcément diriger dans un sens ou dans un autre. Quand nous créons nos propres jeux, en revanche, nous prenons toutes les décisions et nous pouvons réellement poursuivre notre vision et la partager au monde entier.
Jeux.ca : Comment prévoyez-vous de construire la notoriété de marque de Behaviour Interactive et de vous hisser au sommet de la scène du jeu vidéo montréalaise ?
Stephen Mulrooney : Grâce à Dead By Daylight, nous avons appris énormément pour ce qui est de communiquer avec les joueurs, faire la promotion de nos jeux, gérer nos communautés et peaufiner nos stratégies marketing. Notre plan est simplement d’investir toujours plus dans ces domaines en continuant à mettre l’accent sur la qualité des jeux que nous produisons, car cet aspect est le plus important à nos yeux. En réalité, nous n’essayons pas nécessairement de faire de Behaviour un studio extrêmement connu au delà de Montréal et du Québec, notre réel objectif est de développer d’excellents jeux auxquels les gens ont envie de jouer. Bien sûr, la notoriété du studio et la qualité des jeux vont de pair, mais ce sont avant tout les jeux que nous développerons qui détermineront notre succès sur le long terme.
Jeux.ca : Comme vous l’avez mentionné, la sortie de Dead By Daylight a grandement augmenté la réputation de Behaviour Interactive. Avec cette hausse de votre notoriété, êtes-vous toujours un studio indépendant ?
Stephen Mulrooney : Nous avons récemment créé un outil pour parcourir les tags associés à nos jeux sur Steam. Je ne sais si le tag « Indie » est toujours un tag à connotation positive de nos jours, mais nous sommes à coup sûr indépendants car nous ne sommes pas contrôlés par l’un des dix plus gros éditeurs de l’industrie. Je suppose que si nous étions impliqués dans la publication de jeux d’autres studios sans participer activement à leurs développements, nous ne serions plus indépendants et serions un éditeur comme les autres. Ceci étant dit, nous sommes une entreprise privée qui crée ses propres jeux et les publie elle-même. Nous sommes donc toujours indie, la seule différence est que nos 500 employés font de nous un studio indie de plus grande envergure que les autres.
Jeux.ca : Est-ce un atout d’être considéré comme indépendant ?
Stephen Mulrooney : Je pense que oui. Nous passons beaucoup de temps à communiquer avec des fans de Dead By Daylight, et nous avons constaté qu’ils considèrent souvent que Behaviour est différent des autres studios. L’un des gros avantages qui accompagne le fait d’être indépendant est que nous ne subissons pas toute la pression à laquelle les grands éditeurs sont exposés. EA a par exemple récemment fait face à de nombreuses protestations par rapport aux systèmes de microtransactions qu’ils voulaient introduire dans plusieurs de leurs titres. Qu’ils aient fait un bon travail ou non, leur communauté a réagi très négativement. En étant indépendants, nous faisons moins face à ce genre de contestations, car l’attention publique est plus portée sur les gros acteurs de l’industrie.
Jeux.ca : Pour l’instant, les studios de Behaviour sont uniquement à Montréal. Prévoyez-vous de vous étendre à d’autres pays ?
Stephen Mulrooney : Nous avions auparavant un autre studio à Santiago au Chili, mais il a dû fermer car nous avions de la peine à aligner nos objectifs avec lui. L’équipe de là bas faisait du très bon travail mais nous avions du mal à leur trouver des projets qui correspondaient à leurs champs d’expertise. Malgré cela, il n’est pas impossible que nous développions nos activités dans d’autres pays dans le futur. Si nous le faisons, ce ne sera pas pour générer plus de profits ou pour croître, mais plutôt pour créer des synergies avec une autre entreprise. Nous pourrions regarder d’autres studios qui travaillent sur des jeux qui nous plaisent, vérifier si leur culture correspond à la nôtre, et voir comment nous pourrions les aider à grandir à partir de ce que nous avons appris sur Dead By Daylight ou sur nos autres projets. Notre objectif serait d’avoir un effet positif sur eux. Nous pourrions travailler avec une entreprise à Québec, à Ottawa ou aux États-Unis par exemple, mais ce serait surtout par opportunisme, et tout dépendrait du fit avec l’entreprise en question. Ouvrir un nouveau studio dans un autre pays à partir de rien n’est donc pas vraiment notre stratégie. Notre stratégie consisterait plutôt à travailler avec une entreprise déjà existante qui développe un projet que nous aimons et auquel nous voudrions contribuer.
Jeux.ca : Fondé en 1992, Behaviour Interactive est l’un des plus vieux studios montréalais. Qu’est ce que cette ville vous a apporté ?
Stephen Mulrooney : Montréal possède l’une des plus importantes concentrations d’universités en Amérique du Nord, j’ai même lu récemment que nous avons une plus grande proportion d’étudiants que Boston et que les habitants de là bas paniquent à cause de ça (rire). Je ne sais pas si c’est vrai ni comment ça a été mesuré, mais il est certain que la présence d’une forte culture universitaire nous a aidé en nous donnant accès à une grande source de talents étudiants. Nous avons aussi un important soutien du gouvernement du Québec, ce qui fait de cette province l’un des plus grands centres de développement de jeux vidéo au monde. Ces éléments combinés ont amené le jeu vidéo à s’ancrer véritablement dans la culture montréalaise
Jeux.ca : Quels sont les plans pour le futur de Behaviour Interactive ?
Stephen Mulrooney : Nous allons évidemment nous assurer de continuer à servir la communauté de Dead By Daylight. C’est un jeu actif qui est probablement à son apogée actuellement, même si le titre est arrivé à son troisième anniversaire. Nous prenons ce projet très au sérieux, et sa survie sur le long terme est l’une des choses qui me maintient éveillé la nuit. Nous devons réussir à conserver l’engagement des joueurs et entretenir leur enthousiasme pour le nouveau contenu du jeu ; c’est là l’un de nos plus gros défis. Nous voulons aussi rechercher de nouveaux concepts de jeux à partager avec le monde. Notre équipe de prototypage a passé les quatre dernières années à rechercher de nouvelles manières de jouer, de nouvelles façons d’interagir avec les joueurs, avec les spectateurs, avec les influenceurs etc. Un autre défi majeur auquel nous devons faire face est en fait de maintenir notre pertinence. L’industrie est en train de changer très rapidement, nous devons donc prendre soin de comprendre la nature du marché et nous adapter. Ce sera toujours un grand challenge de s’assurer que les projets sur lesquels nous travaillons sont pertinents pour le plus grand nombre de personnes possible.
Entrevue traduite de l’anglais par l’auteur